«j'ai voulu retracer le parcours de gens de ma génération pour comprendre cette violence qui n'est pas arrivée ex nihilo», dit l'auteur. C'est affable et avec le sourire que nous avons trouvé Maïssa Bey durant la 11e édition du Sila. A l'aise et élégante, elle signait, lors d'une vente-dédicace au stand Barzakh, son dernier livre qui nous concerne tous. Décliné entre des «je» traduits en alternance de chapitres entre «elle» et «lui», Bleu, Blanc, Vert se veut porter ainsi deux regards différents sur ce qui s'est passé en Algérie depuis 1962, soit depuis l'indépendance, sa crise mais aussi l'OAS jusqu'à 1992, la victoire de l'ex-FIS aux législatives et le lendemain de l'assassinat de Mohamed Boudiaf «avec tout ce qu'il a pu avoir comme répercussions sur nous», souligne l'écrivaine. Un jour, résolument pas comme un autre, décrit fidèlement dans son tourbillon de malheurs suite à la mort de cet «homme intègre». Maïssa Bey réalise une microscopie d'une société et pourtant elle n'en analyse pas autant qu'elle raconte en feuilletant avec nous cette histoire pas si lointaine mais encore présente et vive dans nos mémoires. La voix de ces enfants devenant grands et amoureux est implacable autant que leurs interrogations et leurs réflexions, désarmants de vérité, incroyablement lucides sur la réalité sociopolitique d'un pays: l'Algérie. Maïssa Bey nous déroule une histoire dont la chronologie est de «trente ans, presque jour pour jour. Tout un chemin parcouru. Le temps d'une génération. Une seule. Qui demain en rendra compte à l'histoire?», écrit-elle à l'avant-dernière page du roman. Enfants de moudjahid, Lila et Ali entrent en 1962 au collège où ils apprennent avec stupeur qu'il est désormais interdit d'utiliser le crayon rouge. En effet, puisque le papier reste blanc et l'encre bleue, les corrections se feront donc en vert. Il n'est pas question de maintenir le «bleu, blanc, rouge», drapeau honni, de la colonisation! Dans l'euphorie de la liberté retrouvée, l'avenir est à portée de main, plein de promesses et d'espoir...«J'ai voulu traduire la rupture avec le monde du colonialisme dans l'esprit des enfants, quand on commence quelque chose de nouveau, on le fait avec beaucoup d'enthousiasme», confie Maïssa Bey. Lila est fille d'instituteur, mort au combat. Le départ des colons l'insère très vite dans le monde européen, où, émerveillée par des tableaux, se mettra aussi à la pêche de livres laissés dans ces appartements dans l'immeuble vacant où elle habite avec ses parents. Dès l'indépendance, la famille d'Ali débarque aussi de son douar à la capitale comme beaucoup d'Algériens jadis. Avant, les femmes pieds-noirs discutaient en toute convivialité avec les musulmanes, mais l'indépendance venue, les Français ont dû partir et laisser leurs meubles et leurs maisons. La liberté tant chantée et acquise rétrécira comme une peau de chagrin. Les mentalités changent. A qui la faute? Turbulences. La tradition se confronte à la modernité. Les jeunes enfants font des études. Un couple se forme. «Dans ce texte, j'ai voulu retracer le parcours de gens de ma génération en replongeant dans les années 90 pour comprendre cette violence et tout ce qui s'est passé à ce moment-là. Ce n'est pas une violence qui est arrivée ex nihilo», fait remarquer l'auteure de Surtout ne te retourne pas. Et de préciser: «Bleu Blanc Vert est un texte marqué par ce tiraillement entre tradition et modernité. C'est un roman où il y a de l'amour, de l'illusion et de la désillusion, de l'intime et de l'histoire...», explique Maïssa Bey. Cette dernière, née en 1950, à Ksar El Boukhari, ville des Hauts-Plateaux, a obtenu le prix de la Société des gens de Lettres pour son livre Nouvelles d'Algérie (Editions Grasset, 1999) et en 2005 le Prix des libraires algériens pour l'ensemble de son oeuvre. Aux éditons Barzakh ont déjà paru, en 2002, un récit autobiographique Entendez-vous dans les montagnes..., en 2004 un recueil ce nouvelles Sous le jasmin la nuit et en 2005 un roman Surtout ne te retourne pas, inspiré par le tremblement de terre de Boumerdès de mai 2003. Comme un Yasmina Khadra, Maïssa Bey n'a de cesse d'explorer les âmes humaines, exprimer ses révoltes et «écrire, dit-elle, pour ne pas sombrer, écrire aussi et surtout contre la violence du silence, contre le danger de l'oubli et de l'indifférence». Son livre à 284 pages est à lire absolument. Un petit retour en arrière, certes amer mais nécessaire. «Je ne prétends pas donner des explications. L'écrivain est là pour poser des questions. On cherche dans l'histoire d'un individu ou d'un collectif pour tenter de comprendre. Le livre n'est pas une chronique, ni une étude sociale. C'est une histoire romancée avec deux regards, l'un masculin et l'autre féminin, avec des anecdotes réelles et d'autres inventées», achève d'expliquer Maïssa Bey.