Ils sont si loin des feux d'artifice, des «grandes réalisations», des Caracalla et autres Elissa. A Beni Ilmane, Tifelfel ou Ifri, El Watan Week-end est allé à la rencontre des Algériens qui vivent là où l'histoire se rappelle tous les jours à eux. Et qui, en ce 50e anniversaire, ont été oubliés. Le 50e anniversaire de l'indépendance, fruit du génie des architectes du Congrès de la vallée de la Soummam, se fête à Alger, mais pas à Ifri. Reportage à la marge de l'histoire.En arpentant la pente du village Ifri, dans la commune d'Ouzellaguene, 50 km à l'ouest de la ville de Béjaïa, la cité est comme désertée sous un soleil de plomb. Au sommet du village, le Musée du Congrès de la Soummam 20 Août 1956 nous accueille dans un silence et une indifférence totale vis-à-vis de ce qui se fête tambour battant à Alger. Dans la cour du musée, la statue de l'architecte du Congrès, Abane Ramdane dans son burnous, un livre à la main, semble désillusionnée par l'indolence qui habite ce lieu mythique, ayant accueilli, 56 ans auparavant, les fondateurs de l'Etat algérien moderne. A l'intérieur, nous apprenons, avec stupéfaction, qu'hormis l'enregistrement de témoignages d'anciens moudjahidine de la région pour alimenter la bibliothèque du musée, rien n'est prévu pour le 5 juillet 2012. Le Congrès de la Soummam n'est pas à l'ordre du jour. Oubli ou manque de moyens ? Mehenni, villageois d'Ifri, analyse : «Le pouvoir algérien tire sa légitimité dans le reniement de l'histoire. Il a peur de ses grands monuments. Il fait donc tout pour les faire oublier. Parler de Abane Ramdane, qui dérange, même mort, serait un cauchemar pour les responsables du pays. D'ailleurs, on continue encore à l'attaquer !» Son voisin est du même avis : «Les dirigeants ne veulent pas montrer le rôle qu'a joué la Kabylie dans la Révolution algérienne, on veut occulter coûte que coûte l'épisode du 20 août 1956.» Délégation Pourtant, les gens viennent de partout pour visiter la maison dont les murs portent encore des traces du passage de Abane Ramdane, Krim Belkacem, Omar Ouamrane ou encore de Youcef Zirout, principaux promoteurs de l'idée du Congrès. De Ghardaïa, une délégation de treize membres a choisi, pour célébrer le 50e anniversaire de l'indépendance algérienne, la wilaya de Béjaïa comme destination. L'association artistique Ennagham n'a pas lésiné sur ses efforts pour permettre à des étudiants mozabites de connaître Ouzellaguene, Tifra et Sidi Aïch. «Nous organisons cette caravane de Ghardaïa à Béjaïa, en passant par la capitale pour la troisième année consécutive. Béjaïa ainsi que le reste de la Kabylie sont le bastion de la Révolution. Pour cette raison, nous, Mozabites, qui sommes proches de la population kabyle, ne manquons pas la date historique du 5 juillet pour nous rapprocher de cette merveilleuse ville», avance Omar Daouli, président de l'association et poète en langue amazighe. Mais le musée n'a pas pris les couleurs du cinquantenaire, tout est resté figé comme si le Congrès n'était pas un chapitre de l'histoire de la Révolution de l'Algérie. Les petites pièces, faisant office de salon et de cuisine, contiennent à ce jour des objets et ustensiles en terre et en pierre. En contrebas du musée, une salle d'exposition de photos et de documents illustre les figures historiques de la région de Kabylie et autres combattants et martyrs. Région oubliée Aucune affiche, aucune sonorité, aucune exposition n'a été prévue pour la circonstance. Mokrane, la soixantaine, ne se montre pas étonné. «Le gouvernement algérien n'est pas le seul à avoir oublié Ouzellaguene et la Kabylie en général. L'indépendance également semble ne pas être passée par là», ironise-t-il. Et de dénoncer : «Notre région est délaissée par les pouvoirs publics. Ces derniers n'ont rien fait pour nous. Pendant que les autres wilayas deviennent de plus en plus accessibles grâce à des réseaux routiers à coups de milliards, la circulation à Béjaïa demeure toujours infernale ! De Tazmalt, Akbou, Ighzer Amokrane jusqu'à Béjaïa ville, les interminables embouteillages sur une route à double sens rendent l'accès à la ville pénible. Rien n'a évolué depuis l'indépendance. La population est contrainte d'investir avec son propre argent pour construire des maisons et alimenter les villages en eau potable, s'emporte Mokrane. La construction de logements et les projets d'investissement à Béjaïa ne figurent pas parmi les priorités du gouvernement, alors que la ville recèle de ressources inestimables.»