Les analystes politiques d'ici et d'ailleurs furent presque unanimes à pronostiquer une déferlante islamiste lors des élections législatives du 10 mai dernier. Finalement, les votants optèrent pour le statu quo, en offrant une confortable majorité aux deux partis du système, ne laissant que des miettes aux islamistes et aux «démocrates-zaïmistes». Toutefois, les vrais vainqueurs de ces élections furent les abstentionnistes qui rejetèrent toute la classe politique, tandis que les votants donnèrent la première place aux partisans des bulletins nuls, loin devant le parti majoritaire. Après l'annonce des résultats, les vainqueurs exultèrent, les perdants déterrèrent la hache de guerre en criant à la fraude et, enfin, quelques abstentionnistes étaient chagrinés par l'absence du changement tant espéré. Le score obtenu par le pouvoir prête à confusion, eu égard au nombre de réclamations et à la méthode utilisée avant même le jour des élections. La fraude consistait à gonfler le taux des votants, tout en réprimant les partisans du boycott ou de l'abstention qui furent interdits de parole, en étant qualifiés de «traîtres à la nation». Tandis que d'énormes moyens furent mobilisés afin d'inciter les gens à voter : plus de quarante partis, des mosquées, des syndicats, ainsi que des sportifs, des artistes et même le président de la République. Malgré tous ces moyens, le cap symbolique des 50% de votants ne fut pas atteint. Tandis que les voix exprimées en faveur du statu quo ne sont, semble-t-il, motivées que par l'habitude, la peur, la naïveté ou l'intérêt (faire son devoir, être en règle avec l'administration, crainte de l'invasion étrangère, confusion entre le FLN d'origine et la version Taiwan, continuer à bénéficier de la rente et d'autres avantages procurés par le pouvoir). Ce fut, également, un «vote-refuge» afin de ne pas tomber entre les griffes des islamistes qui sont à la mode dans les pays voisins. Mais, contrairement aux peuples de la région qui viennent de découvrir la liberté d'expression, les Algériens possèdent quelques années d'avance sur cette question. En effet, le 5 octobre 1988, le vent de la révolte emporta les symboles du régime, aussitôt les chars furent sortis dans les rues et le tribut payé fut de près de 500 tués et de nombreux blessés. Cependant, la démocratie sera instaurée avec la création de 68 partis. Mais à l'exemple de nos voisins, la vague du tsunami dévasta tout sur son passage : les islamistes s'emparent de la majorité des municipalités, avant de s'attaquer à l'Assemblée. Après leur «succès» au premier tour des législatives, ils redoublèrent de férocité en promettant, une fois élus, de tordre le cou à la démocratie : ce qui provoqua l'intervention de l'armée. Avant les élections, les islamistes promettaient aux Algériens le paradis dans l'au-delà, après l'arrêt du processus électoral, ils instaurèrent l'enfer ici-bas. Mais encore une fois, le peuple algérien fut incompris : les intégristes étaient qualifiés de «maquisards», tandis que leurs méfaits furent revendiqués depuis les villes des peuples «civilisés» (Washington, Londres, Berne, Francfort, Paris), et les pétrodollars des pays du Golfe inondaient les maquis. Ce n'est qu'après les attentats du 11 septembre 2001 que le monde a été enfin réveillé pour voir l'intégrisme tel qu'il est. Quant aux islamistes dits «modérés» qui sont dans le pouvoir depuis près deux décennies, ils sont semblables aux gens du système, car ils sont incompétents, tout en cherchant uniquement leurs propres intérêts. Si, aujourd'hui, les Algériens sont insensibles au virus de l'islamisme politique, c'est parce qu'ils ont été vaccinés contre cette pathologie en payant un prix élevé, d'où l'avant-gardisme algérien et non pas l'«exception». Cette douloureuse expérience fut également bénéfique pour les pays voisins, car leurs intégristes sont à jamais marqués par le syndrome algérien. Rappelons que l'islamiste «modéré», M. Ghannouchi, fut pendant plus d'une année conseiller de l'ex-FIS en Algérie. Durant toute la décennie noire, ce «sage» demeura silencieux pendant que ses amis sévissaient. Les adeptes de l'islamisme politique étant rejetés, pour quel autre courant pouvait-on opter ? L'autre choix des électeurs était constitué par de chétifs partis, dépourvus de programmes et de base militante. Leur seule existence se réduit à l'agitation de leur «zaïm» (leader) respectif. La création de ces minuscules mouvements semble provenir de plusieurs raisons : clones des partis du régime afin de polluer la scène politique, appât du gain, besoin maladif de gloriole, naïveté. Ces motivations ne diffèrent guère de celles des partisans du régime ou de celles des islamistes : leur trait commun est la satisfaction de leur ego. Pour cela, la majorité des Algériens les rejettent, préférant l'abstention. Néanmoins, cette attitude renforce les adeptes du statu quo pour se maintenir au pouvoir indéfiniment. Traumatisé par la fin tragique d'El Gueddafi, le régime redoutait l'issue du 10 mai, au point de comparer cette date au 1er Novembre 1954. Finalement, il a eu son 5 Juillet 1962, en disposant d'une écrasante majorité à l'Assemblée. Dans un sens, ce résultat est le moins mauvais, car il assure la stabilité du pays pour deux années, tout en traversant la turbulence du «tsunami arabe» qui planait sur notre pays. Surtout que les «démocrates» sont toujours aux abonnés absents, puisque nous sommes encore réduits à choisir entre «la peste et le choléra». Les députés élus ne sont que de faible utilité, car tous les pouvoirs sont détenus par une seule partie (Présidence). Ayant tous les moyens en main, le régime satisfera-t-il les promesses faites aux Algériens, ou bien pour la enième fois, il les trahira ? On est en droit d'être sceptique, car un vieil arbre tordu ne peut être redressé, et puis, ne dit-on pas : «Chassez le naturel, il revient au galop» ? Surtout que depuis 1962, le néo-FLN n'est que la façade politique du vrai pouvoir qui l'utilise, afin d'encadrer les masse et donner aux pays étrangers l'illusion d'un semblant de démocratie. Il en est de même pour le petit frère, «né avec des moustaches». En cas d'échec de cette période de transition, le rendez-vous fatidique de 2014 risquera d'ouvrir la porte de la violence et de l'anarchie, car il n'y a pas plus cruel qu'une bête blessée ou un être humain frustré. Mais qui profitera de cette bévue ? Les seuls bénéficiaires des errements du régime seront les intégristes, car les Algériens, cette fois-ci, suivront même le diable afin d'apporter du changement à leur vie, surtout s'ils entrevoient une infime réussite des pays voisins. Après tout, les islamistes proposent l'instauration d'une société idéale, semblable à celle du temps du Prophète (QSSSL) et qui est séduisante à première vue. Seulement, celle-ci est irréalisable, car l'être humain ordinaire est imparfait. Pour preuve, même les «sohaba» (Compagnons) furent incapables de sauvegarder cette société, tout en se faisant entretuer. Seul le calife Omar s'en approcha, avant que Muawiya ne réservât la succession à ses propres enfants. Mais cette faiblesse humaine n'est pas l'apanage des seuls musulmans. Assurément, d'inoffensifs juifs broyés par la folie d'Hitler se métamorphosèrent en d'arrogants sionistes qui oppriment les Palestiniens et les spolient de leurs terres ; le christianisme du doux et chaste Jésus-Christ engendra les conquistadors cruels et les «prêtres pédophiles» pervers ; et enfin, même le marxisme athée, préconisant une société égalitaire, finit par accoucher du goulag ainsi que de Kim Il-Sung et sa dynastie. Finalement, la démocratie est le système le moins mauvais, car elle corrige les défauts inhérents à la nature humaine grâce à la lutte des opposés (pouvoir et opposition). Cependant, cette doctrine ne se décrète pas, mais dépend du développement mental des membres de la société. Qu'en est-il de notre pays ? L'Algérie a raté le train de la démocratie et du progrès en 1962, lorsque les artisans de l'indépendance furent écartés par des opportunistes sortis de leur trou. Depuis, ces derniers prirent le pays en otage en gouvernant par la force, le mensonge, la traîtrise, l'égoïsme. Les dirigeants sont semblables aux pères de famille : intègres, la société les imitera ; pervers, presque tout le monde les suivra, c'est notre mal présentement. D'ailleurs, la majorité des «opposants» sont semblables aux gens au pouvoir, excepté que ces derniers ont déjà «mangé», tandis que les arrivants cherchent à en faire autant. Ces personnes semblent être au stade animal de la satisfaction des besoins de base (survie de l'individu et de l'espèce), loin de l'étape sublime des êtres humains (épanouissement spirituel de soi et d'autrui). Le leader altruiste est celui qui mène une mission afin d'élever le niveau de vie et de conscience de ses semblables, en sacrifiant sa propre personne (tels Ben M'hidi, Mandela, Lula…) ; le «zaïm», ou leader égoïste, est celui qui asservit les autres afin de satisfaire les besoins de son propre ego. Pourtant, cette maladie de l'âme n'est pas nouvelle, car en revisitant l'histoire, deux cas typiques reviennent en mémoire. En 1954, le charismatique «zaïm», Messali Hadj, chantre de l'indépendance depuis vingt ans, refusa de prendre la tête de la révolution sous prétexte qu'elle ne fut pas sa propre création ; il se dressa contre le FLN en transformant ses troupes du MNA en supplétifs de la France coloniale. Ex-chef de l'OS, représentant de la révolution à Bandung, porte-drapeau de l'«Algérie libre et démocratique» ; il abandonna ses idéaux pour satisfaire sa lubie en servant l'intégrisme. Résultat de la gestion du charlatan de Lausanne : le FFS obtint plus de 516 000 voix en 1991 et seulement 188 000 en 2012. Les chétifs partis et les abstentionnistes peuvent représenter un espoir de changement, à condition de passer à l'action en créant un vaste mouvement qui bannit l'ego en privilégiant les idéaux. Cependant, le «zaïmisme» semble être partout, car chacun prétend détenir, seul, la vraie solution, y compris les «élites» qui se contentent de donner des leçons. Pourtant, sans l'action, les paroles ne seraient que du bavardage de café et les écrits (tel ce texte) : de la masturbation intellectuelle. Si nous sommes incapables de nous organiser, il vaut mieux laisser les autres travailler et mettre du bémol dans nos voix, car «au pays des aveugles, les borgnes ne sont-ils pas rois» ? Pour terminer, le salut semble résider dans l'union, car les problèmes de l'Algérie sont de grandes dimensions, bien au-dessus des capacités d'un seul individu, fut-il un génie. A l'instar du régime, les forces du changement doivent se mobiliser afin de déclencher leur 1er Novembre, mais il faut au préalable initier la «Réunion des 22» regroupant des patriotes qui placent l'Algérie avant tout. Toutes les bonnes volontés doivent s'unir afin d'extraire notre pays du statu quo et de la perversion des valeurs qui rongent la société. La mission est ardue, mais plus aisée que celle de 1954, car il suffit de préparer et gagner l'élection présidentielle de 2014, notre 5 Juillet. En effet, pour purifier et régénérer le pays, il faut commencer par le sommet : c'est lui qui désigne les ministres, les walis, les juges et les services de sécurité qui ne font qu'appliquer les politiques définies. Deux années nous séparent de ce rendez-vous capital, mais le changement se prépare dès maintenant.