Le scrutin du 10 mai 2012, le premier après le printemps arabe qui a fait le lit vert de l'islamisme en Tunisie, en Egypte et au Maroc, est porteur de paradoxes déconcertants. Le vote et l'abstention ont délivré des messages d'égal intérêt. Les votants ont reconduit le statu quo politique, conforté le régime et manifesté, de facto, un refus de toute alternance au pouvoir, à défaut d'un changement démocratique radical. Les abstentionnistes, eux, ont exprimé une triple défiance à l'endroit du régime et de ses partis, des islamistes de gouvernement et de toutes les autres offres politiques. En même temps, ils ont manifesté suspicion et scepticisme à l'égard des réformes politiques du président de la République, dont les législatives du 10 mai doivent être l'amorce. Ils ont exprimé, en filigrane, une ardente aspiration au changement démocratique. Le vote qui s'est exprimé dans les urnes est un vote conformiste, légitimiste et clientéliste. Il a largement désavantagé les islamistes et, surtout, renforcé le FLN comme premier parti du pays et colonne vertébrale politique du régime. Il ne pouvait en être autrement même si le nombre de sièges obtenus, en nette augmentation, peut surprendre. L'ancien parti unique a été particulièrement favorisé par un mode de scrutin taillé sur mesure pour des partis disposant d'appareils forts et qui sont le pendant politique de l'Administration. On ne dira jamais assez du nouveau système électoral fondé sur la proportionnelle intégrale. Il a été conçu justement pour broyer les petites formations, amoindrir les partis de taille moyenne et laminer les Indépendants. Or l'architecte de ce système, Dahou Ould Kablia, orfèvre en la matière comme le fut ailleurs un certain Charles Pasqua, a surmultiplié les listes d'indépendants et agrée à tour de bras de minuscules partis, à seulement quelques semaines du scrutin. La proportionnelle intégrale qui élimine les listes en dessous de 5% de suffrages, l'émiettement exceptionnel des voix et la surabondance de l'offre politique ont nettement favorisé le FLN et, accessoirement, le RND, son avatar organique. Il était entendu que chaque liste allait attirer de nouvelles clientèles sans pour autant défavoriser le FLN qui allait bénéficier du vote utile et légitimiste. Avec ce travail de sécurisation du vote, effectué en amont, le régime n'avait pas besoin de manipuler le fichier électoral, de bourrer les urnes ou de faire voter plusieurs fois ses corps de sécurité et les agents de l'administration et, au final, «consolider» les chiffres du vote, notamment le taux d'abstention. Ce travail d'artiste s'inspire un peu du «tirage au sort orienté» dont use la FIFA pour ne pas éliminer dès les tours préliminaires les grandes puissances du football. L'intelligence du régime a donc consisté à réduire au maximum le risque électoral. Surtout, à susciter l'élection d'une APN en mosaïque, constituée de 26 partis et d'un groupe d'indépendants. Leur nombre de sièges cumulés (174) ne fait pas le poids devant le duopole du pouvoir constitué par le FLN et le RND, avec un total de 288 sièges sur 462. Encore faudrait-il qu'islamistes, démocrates de tout bords et indépendants parviennent à former un bloc uni. La victoire du FLN, qui ne devait surprendre personne, est aussi le résultat logique de l'absence d'une vie politique réelle, du débat politique, de la confrontation de programmes et d'une opposition structurée et crédible. En Algérie, le néant n'est pas stérile pour tout le monde. Le vide politique est la sève nourricière du FLN qui devait capter nécessairement le vote utile qui s'est exprimé largement en défaveur de l'islamisme légaliste et gestionnaire, représenté notamment par l'AAV, la nouvelle Alliance pour l'Algérie verte. Ce triumvirat vert a trouvé «illogiques et inacceptables» les résultats du FLN et les siens propres. Or, par exemple, le score de l'AAV, qui surfait sur la vague islamiste ayant déferlé sur la Tunisie, l'Egypte et le Maroc après le printemps arabe, est celui d'une bérézina électorale. Le 10 mai 2012, ce parti de derviches tourneurs, vêtus du vert de la vanité électorale et de la fatuité politique, qui avaient préempté le vote islamiste, a vécu finalement sa bataille d'Ouhoud. Le courant islamiste légal, qui a totalisé 59 sièges, dont 48 pour l'AAV, a profondément pâti de sa participation à un Parlement en fort déficit de légitimité. Il a payé aussi pour son implication directe dans la gestion des affaires publiques et de sa dérive affairiste, manifeste dans des secteurs rentiers comme les infrastructures lourdes ou la pêche. Le MSP, pour ne citer que lui, a, comme disait Houari Boumediene, trempé le doigt dans le pot de miel, et deux fois plutôt qu'une. Les Algériens ne sont pas amnésiques, et l'AAV et les autres partis islamistes semblent l'avoir oublié. La lourde défaite des islamistes légalistes, participationnistes et affairistes, est donc logique et acceptable. Quant à la majorité islamiste silencieuse, elle semble faire partie du parti de l'abstention, majoritaire dans le pays. Elle n'a pas voté pour l'AAV. Non plus pour cheikh Abdallah Djaballah. Pas plus pour le Front du Changement du transfuge du MSP, Abdelmadjid Menasra, ancien hiérarque islamiste du régime et ministre dans les cabinets de la mal-gouvernance algérienne et de la gestion prébendière de la rente pétrolière. On achève bien électoralement les chevau-légers islamistes, victimes de l'abstention à laquelle les anciens cheikhs du FIS ont appelé. D'ailleurs, pour «remercier Dieu du taux d'abstention», beaucoup plus élevé que les seuils enregistrés au Maroc, en Tunisie et en Egypte lors des législatives post-printemps arabe, Ali Belhadj a effectué avec des fidèles une récente «prosternation de la gratitude.» Le 10 mai 2012, Allah a reconnu les siens et le vert ne fut pas la couleur du printemps islamiste. N. K.