Sous le thème «Les sorties de guerre», quatre conférenciers, invités du colloque d'El Watan, se sont relayés pour analyser un lendemain d'indépendance qui peine à trouver ses marques à la fois pour un colonisateur qui se voit obligé d'admettre sa défaite et un peuple colonisé qui se trouve face au défi de construire un Etat indépendant. L'historien français Gilles Manceron a été le premier à prendre la parole, évoquant la gêne qu'éprouve la société française à reconnaître ce que fut la guerre d'Algérie. «La France est quelque peu gênée, quand je dis la France c'est la société, les institutions et un certain nombre de rouages de la société. La société française est peu ou prou impliquée dans ce passé colonial et les courant politiques qui la représentent reprennent cette gêne», note le conférencier, en précisant que la France est diverse et diversifiée et qu'aujourd'hui plus qu'avant, elle s'interroge sur ce passé. Gilles Manceron estime que le problème réside dans le fait que ce sont les lobbies nostalgiques de «l'Algérie française» qui dictent leur loi aux politiques. «Les hommes politiques français ne comprennent pas qu'ils se font manœuvrer. En dehors de De Gaulle, c'est toujours le lobby colonialiste qui impose sa loi aux hommes politiques», souligne l'historien, qui estime qu'il n'y a aucun aspect positif à la colonisation et que le président Hollande doit œuvrer à chasser le fait colonial des principes de la République. Laetitia Bucaille, maître de conférences à l'université Victor Segalen de Bordeaux, prendra le témoin pour exprimer son scepticisme quant à la disposition de la gauche à faire un pas vers la reconnaissance. «La gauche française n'a pas fait son examen de conscience sur ses positions antérieures quant à l'égalité des races». Mme Bucaille a choisi d'évoquer, dans son intervention «Les mémoires guerrières», des combattants du FLN et des agents de l'OAS. Elle souligne à quel point, 50 ans après l'indépendance, le passé est si présent dans ces mémoires peu tourmentées par «l'usage de la violence». La conférencière explique la relation étroite entre le régime et le passé révolutionnaire. «Récompenser généreusement les combattants de la guerre de Libération a été un choix politique pour Boumediène afin d'avoir une base sociale acquise aux idées du régime», dit-elle, en notant que même la question des faux moudjahidine est une aubaine pour le régime, car plus il y a de moudjahidine, plus la légitimité révolutionnaire est renforcée. Elle note aussi que le fait de dire «Un seul héros, le peuple», dans le cas de la Révolution algérienne, facilite l'apparition des faux moudjahidine mais aussi «emprisonne les gens» pour qui ne pas avoir participer à la guerre de Libération est une honte suprême. Amar Mohand Amer, historien, maître de recherche au Crasc (Oran), estime pour sa part que dire «Un seul héros, le peuple» est au contraire une bonne chose et rend grâce «à la population, qui n'a pris le parti d'aucun des chefs de l'ALN et du FLN en 1962». Ce qui introduit son propos sur «Les institutions politiques et militaires du FLN en 1962». «L'unité du FLN a constitué un véritable socle durant la guerre de Libération. Malgré plusieurs graves crises, le FLN a su maintenir le cap jusqu'au 19 mars 1962. Le processus de l'indépendance a créé ses propres logiques et ses propres principes», indique le chercheur, en notant que des pays étrangers ont eu leur mot à dire dans le processus de passation de pouvoir. Amar Mohand Amer cite donc des ingérences directes de la France et de l'Egypte et, à un degré moindre, de la Tunisie et du Maroc. «L'Egypte de Nasser et la Tunisie de Bourguiba sont des acteurs directs de la crise de l'été 1962. Nasser intervient en envoyant des armes à Ben Bella et Boumediène. La France, quant à elle, prend position pour le groupe de Tlemcen après l'indépendance, considérant que le GPRA de Ben Khedda n'est pas apte à assurer la transition et la sécurité, notamment de ses ressortissants, et à protéger ses intérêts politiques et militaires.» Todd Shepard, historien, professeur associé à la John Hokins University, qui évoque l'impact de la guerre d'Algérie sur la France, a souligné que cette guerre a carrément transformé la France. «La France n'a pas choisi l'indépendance de l'Algérie, elle a été forcée à l'accepter», dit-il en notant l'exception de la Révolution algérienne qui a été modèle et un exemple : «La Révolution algérienne a fait mûrir les très anciennes contradictions au cœur du projet républicain.» Nous reviendrons demain avec plus de détails sur ces conférences.