Cinquante ans après l'indépendance, le rendez-vous avec le développement semble toujours reporté aux calendes grecques, sous les pressions multiples du système rentier.» C'est en ces termes que l'économiste et ancien ministre du Commerce, Smaïl Goumeziane, a mis en évidence, hier, lors de son intervention au colloque international d'El Watan à Alger, le constat d'échec sans cesse recommencé des stratégies de développement économique tentées en Algérie depuis l'indépendance. Smaïl Goumeziane, qui a développé une approche à travers laquelle les besoins de développement économique et social ne peuvent qu'aller de pair avec les aspirations démocratiques de la société, a estimé en ce sens que le régime autoritaire en Algérie est lui-même gangrené par le système rentier, qui, lui, est extérieur. Retraçant l'évolution des politiques économiques en Algérie depuis bien avant le recouvrement de l'indépendance, l'orateur a souligné que de la Déclaration du 1er Novembre 1954 au Congrès de Tripoli de juin 1962 en passant par le Congrès de la Soummam en 1956, la volonté de développer le pays fut clairement affichée. Or, a-t-il avancé, de la première stratégie de développement tentée dès la fin des années 1960 sous «le tandem Boumediène-Abdesselam», à la seconde tentative initiée sous l'autre tandem, Chadli-Hamrouche, et en revisitant tout «un demi-siècle d'économie politique algérienne», le pays a immanquablement raté ses rendez-vous de développement. Sous le tandem Boumediène-Abdesselam, relate Goumeziane, l'enjeu explicite était l'appropriation optimale de la rente pétrolière pour l'injecter dans «la constitution d'une base productive nationale la plus diversifiée possible». De ce processus, qui prendra le nom de «stratégie des industries industrialisantes», axée essentiellement sur l'industrialisation publique et la révolution agraire, il ne restera, à la disparition du président Boumediène en 1978, que quelques améliorations économiques, loin d'approcher le développement tant espéré, selon l'ancien ministre du Commerce. Au bout du compte, à la fin des années 1970, résume le même intervenant, «non seulement la rente pétrolière n'a pas permis l'émergence d'une économie nationale productive, diversifiée, efficace et intégrée, mais il a fallu recourir en permanence à l'endettement international pour financer des investissements non productifs et l'explosion de la consommation intérieure». Pour autant, Smaïl Goumeziane estime que cet échec n'est pas le fait de la rente pétrolière, car, précise-t-il, au cours de cette période, on a assisté à l'émergence d'une véritable «économie de pénurie», aux côtés de laquelle se développe «un marché parallèle», régulé par des décisions le plus souvent occultes. A l'évidence, conclut le conférencier, «la confiscation de l'indépendance par un régime autoritaire, fut-il nationaliste et adepte d'un Etat planificateur et de l'économie productive, favorisa davantage l'émergence de ce système rentier, qui étend progressivement la toile d'araignée de ses réseaux occultes à toute la société, y compris le cœur du régime lui-même». Suivront, sous l'autorité du nouveau président Chadli Bendjedid, enchaîne Goumeziane, «divers replâtrages organisationnels engagés dans l'espoir d'un retour à l'économie productive». Mais, il s'agit d'une véritable illusion, juge l'orateur, en expliquant que ni la restructuration des entreprises géantes, ni leur assainissement financier partiel, ni la redéfinition de leur organigramme «n'ont d'effet significatif». Selon lui, les événements d'octobre 1988 et la mise en œuvre des réformes démocratiques charrieront par la suite une nouvelle tentative de développement d'une économie nationale productive, avec toutefois un nouvel enjeu de taille : soit une nécessaire rupture avec le système rentier qui gangrène le pays. Pour l'ancien ministre du Commerce, un tel enjeu «implique, simultanément, la réforme du système économique et celle du régime politique». Sauf que les réformes globales de l'ère Hamrouche vont vite se heurter à la violence du système rentier, et les élites islamistes ont aussi vite compris leur intérêt d'aller au compromis avec ce même système rentier, dont l'informel en est l'âme essentielle, souligne Goumeziane. Et d'estimer néanmoins que si les rentiers sont infiltrés dans tous les rouages de la société, les démocrates sont également largement présents dans toutes les couches de la population et dans toutes les institutions du pays. Aussi, l'heure est aujourd'hui à la mobilisation pacifique des élites démocratiques pour une rupture progressive avec le système rentier, et son remplacement par un système démocratique, conclut Smaïl Goumeziane.