Des impacts de la guerre d'Algérie sur la France, il y en a sûrement eu, et beaucoup même. De l'avis de Todd Shepard, historien et professeur associé à Johns Hopkins University, «ce qu'on appelle la France est une entité profondément imprégnée par l'Algérie». Intervenant lors de la deuxième journée du colloque organisé par El Watan pour le cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie, T. Shepard souligne que «la Révolution algérienne a fait mûrir les très anciennes contradictions qui sont au cœur du projet républicain français». Il estime que «beaucoup d'observateurs sont passés à côté de ce que l'histoire de l'Algérie française et la Révolution algérienne donnent au républicanisme français et de la citoyenneté libérale». L'historien américain argumente en soulignant que la France s'est faite en Algérie et que «l'architecture institutionnelle qui s'est installée en France en 1962 ressemblait à ce que De Gaulle avait proposé après la Seconde Guerre mondiale, celle-là même que le peuple français, consulté à plusieurs reprises entre 1946 et 1959, a refusée». Todd Shepard explique qu'en 1962, «la plupart des institutions, de même que la plupart des Français, ont choisi d'évacuer les signes qui leur rappelaient l'empire, au passé comme au présent, plutôt que de sacrifier ou de réinventer l'élément constitutif de l'acceptation qu'ils ont d'eux-mêmes. Plus exactement, ne pas faire l'inventaire de la décolonisation les a aidés à limiter la portée des leçons à tirer du rôle tenu par la colonisation dans les institutions d'Etat, aussi bien en Occident que dans les anciennes colonies. Alors que comprendre comment cela a pu se produire nous incite à ne pas limiter l'analyse du colonialisme et des effets de la décolonisation pour regarder ce qui, dans ces deux choses, continue d'affecter l'histoire du monde». L'historien explique que les Français sont arrivés à éviter d'ouvrir un débat sur l'échec que la Révolution algérienne a rendu manifeste. T. Shepard relève cette relation de la France avec l'Algérie du temps de la colonisation en notant qu'il y avait comme une volonté de faire de l'Algérie un prolongement de la France, mais sans pour autant octroyer aux Algériens les mêmes droits qu'aux Français. «La Constitution de 1946 ainsi que d'autres textes juridiques tournaient toujours autour de cette idée d'exception du territoire algérien par rapport aux autres colonies. Les dispositions les plus généreuses pour les Algériens ont été décrétées durant la guerre de Libération, introduisant la possibilité d'octroi de la nationalité française aux musulmans algériens. Alors qu'au cessez-le feu, décision avait été prise d'accorder la citoyenneté française à qui la voulait parmi les Algériens ; trois mois plus tard, le gouvernement français décide, sans prendre l'avis des Algériens, d'annuler cette disposition accordant la possibilité d'avoir la double nationalité.» Todd Shepard indique que «le rejet populaire du postulat fondateur de l'Algérie française, un rejet souvent violent, est ce qui a rendu possible l'indépendance algérienne». Et d'ajouter : «La France avait demandé à l'Algérie de devenir l'exemple même de la juxtaposition de ses conquêtes d'outre-mer et de sa fidélité aux valeurs universelles, et justement l'échec se situe là. La Révolution algérienne n'a pas seulement mis fin à l'empire, elle a mis au jour les liens inextricables entre l'universalisme et l'impérialisme. La manière dont les Français se sont séparés de l'Algérie a gommé ces liens.» L'historien américain relève en outre que la Révolution algérienne a marqué la volonté de changer les choses en disant qu'«on n'a pas besoin d'attendre vers où nous mène le cours de l'histoire, mais d'avoir des gens qui agissent pour changer son cours». Il indique que De Gaulle avait pour idée qu'il était possible d'avoir «une multitude de peuples sous la bannière de la France, il n'a donc pas choisi l'indépendance de l'Algérie, il a été forcé de l'accepter. Prétendre que la France a choisi la libération de l'Algérie est faux, elle a été forcée de l'accepter».