Riche et constructif, tels sont les adjectifs que nous pouvons attribuer au colloque international organisé, avant-hier, à l'université Paris 8 par l'Institut Maghreb-Europe (IME). Cette rencontre scientifique académique autour du thème «L'Algérie vue des Etats-Unis» a été marquée par la participation de conférenciers venus des Etats-Unis et de chercheurs et universitaires algériens et français. Ce panel important de spécialistes dans les différents domaines notamment l'histoire, la sociologie et la politique, a attiré de nombreux étudiants et académiciens qui ont également pris part aux débats durant toute une journée. Ouvrant les discussions, le directeur de l'IME, Aïssa Kadri, a présenté la nature du colloque et ses objectifs qui entrent dans le cadre de la commémoration du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie : «L'IME, qui travaille sur les interrelations Maghreb-Europe, a souhaité sortir tout à la fois des rites de commémoration souvent emprunts et convenus, sinon récupérés et instrumentalisés. Mais également sortir d'un cadre commémoratif qui, ici ou là, se développe dans l'acrimonie, une logique de revanche, une guerre de mémoires exacerbées.» Et d'ajouter : «Les organisateurs, jeunes chercheurs de l'IME, ont voulu sortir du tête-à-tête franco-algérien, de ces rapports de haine-amour, schizophréniques, qui caractérisent les relations franco-algériennes depuis la fin de la guerre d'Algérie. Pour mieux éclairer l'histoire algérienne, il était important d'aller voir d'autres sources, de voir ce qui se fait ailleurs, comme les USA.» Pour certains chercheurs états-uniens présents – Amélia Lyons de University of Central Florida – «la guerre du Vietnam a été une porte d'entrée» ; pour d'autres – Todd Sheppard de Johns Hopkins University – il s'agissait de «penser l'invention de la décolonisation et de saisir comment l'indépendance de l'Algérie a transformé la France. Les conditions institutionnelles, celles définissant le champ intellectuel américain n'étaient pas favorables ; la marginalisation de l'Afrique du Nord ne rendait pas les choses faciles. L'Algérie n'était pas la société arabo-musulmane idéale comme les pays du Moyen-Orient ou le Maroc. Elle était perçue comme française, ou du moins collant trop au modèle français». Quant à Romi Mukherjee de l'IEP Paris et University of Chicago, il a concentré ses travaux sur le fait que «les questions que la société américaine se posait elle-même à travers les problématiques du racisme, du black power, ont été réinterrogés sous l'effet du fanonisme qui a eu une réception très forte aux USA et connaît un renouveau». Ce colloque a vu, également, la participation de chercheurs algériens établis au Etats-Unis, comme Azzedine Layachi, professeur à St-John's University. Ce dernier explique d'ailleurs que l'engouement des chercheurs et universitaires américains sur la découverte de l'Algérie et de son histoire entre dans le cadre de la volonté américaine de mieux connaître les pays du Monde arabe depuis le 11 Septembre 2001 : «Les Américains lambda, même instruits, ne connaissent pas l'Algérie, sinon vaguement. Quand on se présente comme Algérien, les Américains confondent souvent avec le Nigeria. Beaucoup de mes étudiants pensent que l'Afrique est un seul pays !» Retraçant l'historique des relations bilatérales entre l'Algérie et les Etats-Unis, M. Layachi indique que «J. F. Kennedy a soutenu, du moins publiquement, le droit des peuples colonisés à l'autodétermination comme ce fut le cas de l'Algérie. Néanmoins, les Américains ont toujours été méfiants par rapport à la Révolution algérienne et à l'Algérie après l'indépendance pour ses choix de modèle sociopolitique et économique. Ils étaient persuadé que la Révolution algérienne était communiste et avaient peur que soit créé un nouveau Cuba après l'indépendance de l'Algérie». Paradoxalement, selon Azzedine Layachi, la coopération économique entre les deux pays a été et reste très importante. «Les relations entre les deux pays ont connu des hauts et des bas, mais depuis l'arrivée de Bouteflika au pouvoir et les attentats du 11 septembre, les relations sont meilleures, notamment sur le plan économique. En revanche, le choix stratégique des Etats-Unis dans la région reste le Maroc, avant même l'indépendance de l'Algérie», conclut-il. Dans le même sens, Mohammed Harbi a fait une rétrospective des rapports du mouvement national aux influences américaines. Il relève que celles-ci «procèdent de l'influence du modèle wilsonien» qu'il différencie du modèle léniniste. L'éminent historien algérien revient sur la lettre de l'Emir Khaled à Wilson et les contacts de Ferhat Abbas avec Murphy : «Chez les nationalistes, il y avait la conviction que les USA étaient de leur côté. Dans la guerre froide qui s'installe les USA, contrairement à l'Union soviétique, ils n'avaient pas de relais, ils vont donc chercher à fédérer les syndicats en créant des pôles maghrébins en contact avec la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) qui va aller à la rencontre du mouvement nationaliste.» Il note, également, le rôle important de M'hammed Yazid et Abdelkader Chanderli aux Nations unies et auprès des officiels américains. Revenant sur le fond des travaux des chercheurs américains, naturellement plus neutres que les chercheurs algériens et français, des trouvailles inédites sont exposées. Dans ce cadre, on cite la communication de Tom Shappard qui travaille sur des archives du GPRA et les archives françaises. Il a, intelligemment, réinterrogé la question de la nation et de l'Etat-nation chez le peuple algérien. Il est affirmatif : «Plusieurs documents mentionnent l'existence, avant l'indépendance de l'Algérie, de projets fédéralistes. Certains dirigeants du FLN étaient convaincus par l'idée d'insertion de l'Etat-nation dans une structure confédérale.» L'historien américain pense que le fait que le FLN ait abandonné ses projets du fédéralisme comme modèle de gestion de l'Algérie indépendante et la réunification du Maghreb (Maroc-Algérie-Tunisie) est dû, en grande partie, à la volonté exprimée en 1959 par le général de Gaulle de garder l'Algérie dans un cadre fédéral.