« La seconde moitié de la vie d'un homme se résume aux habitudes qu'il a acquises durant la première. » Dostoïevski Six ans après son élection à la tête de la Fédération de Russie, Poutine reste une énigme. Comment peut-il en être autrement pour quelqu'un qui cultive le mystère depuis sa jeunesse et son long apprentissage dans les rangs du KGB, dont il a été l'un des illustres dirigeants. Celui qui « voulait buter les Tchétchènes jusque dans les chiottes » a pris du galon après avoir consolidé son pouvoir. On est loin de l'image qu'on donnait de lui comme une simple marionnette placée par le clan Eltsine. Si sa devise est « d'imposer la dictature de la loi », d'autres y voient « la revanche nationale », sorte de chasse aux sorcières dont les oligarques en ont fait, les premiers, les frais. Qui est donc Vladimir Vladimirovitch Poutine ? L'homme peu disert a levé le voile sur son enfance et son attirance pour l'espionnage. Il relate son atterrissage au KGB sans états d'âme. « Quand j'étais jeune, je suis allé observer le siège du KGB et mieux, je me suis présenté à l'accueil de la direction. Un homme m'a reçu. Aussi étrange que cela paraisse, il m'a écouté sans m'interrompre, puis m'a dit : ‘'On ne prend jamais les candidatures spontanées et on ne recrute qu'après le service militaire ou des études supérieures.''Je lui ai demandé : ‘'Quelles études ? Peu importe... Pas de préférence ? Le droit. Compris.'' Je suis entré à la fac de droit de Leningrad. » C'est là que le jeune Vladimir a été approché et pris en charge. Pris en charge par le KGB « Vers le milieu de ma 4e année d'université, j'ai été contacté à ma grande surprise par un homme qui s'est présenté comme membre de la direction du personnel. Il a téléphoné chez moi. C'est par la suite que j'ai su qu'il appartenait à la branche de surveillance des établissements d'enseignement supérieur. Dans le hall de l'université, il m'a dit tout de go : ‘'Est-ce que ça te dirait de travailler pour la sécurité de l'Etat ?'' Je lui ai dit que ça m'intéressait. Un an après, je faisais partie du KGB. » Puis, quelques années plus tard, Poutine gravit les échelons pour devenir le directeur du contre-espionnage. Dans son dossier qu'il récupérera, il relèvera une appréciation négative. « Sous-estime le danger » avec laquelle il n'est pas d'accord. « C'est la conclusion de psychologues qui ont fait des observations sur moi, à mon insu... » Vladimir avouera qu'il n'a jamais été tenté par la dissidence. « Ma carrière progressait bien. J'étais un officier comblé... » Son itinéraire réglé comme une horloge n'a pas subi de couacs... Lorsqu'il naquit le 7 octobre 1952 à Leningrad (aujourd'hui Saint-Pétersbourg) dans une famille modeste de travailleurs, l'empire stalinien déclinait. Le jeune Vladimir apprit très vite à se défendre. Il pratiquera les arts martiaux avant même de faire son entrée dans les services spéciaux. Excellent en judo, il était aussi brillant élève en droit à l'université de Leningrad où l'influence du professeur Sobtchak déterminera dans une large mesure son avenir... A 23 ans, il obtient son diplôme et entre au KGB qui lui assura une formation à Moscou. Pour la fameuse centrale des « taupes », l'élève Poutine est un potentiel promis aux plus hautes fonctions au sein de l'appareil de sécurité soviétique. Il est affecté au renseignement extérieur, considéré comme la « crème » du KGB. « Poutine est doté d'un esprit de synthèse, situé très au-dessus de la moyenne », témoigne un de ses camarades. Pourtant, le futur président n'était pas obnubilé par l'idée de ne vivre que par et pour l'espionnage. Devenir agent secret n'était guère son obsession, du moins c'est ce qu'il a révélé il y a peu. « Au départ, avoue-t-il, j'avais très sérieusement envisagé une école de l'air, entrer dans l'aviation civile, en plus j'avais commencé à m'y intéresser de près. Je m'étais abonné à une revue. Mais un an et demi avant le bac, j'ai trouvé ma vocation », se souvient-il. Il faut dire que le contexte historique a grandement joué en faveur du jeune Poutine qui a trouvé un KGB rénové sous la houlette d'Andropov qui, en qualité de président du Soviet suprême, imprima à l'appareil d'espionnage une forte orientation vers le renseignement technologique et scientifique. Cela ne pouvait mieux tomber pour l'ambitieux Vladimir, en mesure désormais de mettre en pratique ses connaissances théoriques dans un cadre largement modernisé. Le KGB, pour rappel, fut élevé en 1978, au rang de comité d'Etat de l'URSS, équivalent d'un ministère de souveraineté. Les soviétologues diront que Poutine y est entré au bon moment. Première mission : Leipzig La première mission, il l'effectuera à Leipzig en Allemagne de l'Est en qualité de directeur de la maison de l'amitié germano-soviétique. En réalité, il était officier de liaison. Mais avec la réunification de l'Allemagne et la chute du mur de Berlin au début de l'année 1990, Poutine dut revenir à Leningrad pour y devenir adjoint aux affaires internationales du recteur de l'université de la même ville. Il avait le grade de lieutenant colonel de réserve du KGB, ce qui lui permettait d'avoir un œil sur l'économie de la « perestroika ». Sobtchak qui le suit de près, devenu maire, le nomme conseiller aux affaires internationales du Soviet de Leningrad. Il y restera de 1991 à 1996. Les analystes soulignent le rôle décisif joué par Poutine dans les négociations entre le KGB et les putschistes qui prirent Gorbatchev en otage. Le 20 août 1991, lors du putsch de Moscou, Poutine démissionne officiellement du KGB. Lorsque son « parrain » Sobtchak fut désavoué par les électeurs et tomba en disgrâce en 1996, Poutine n'eut d'autre choix que de retourner à Moscou où il occupa le poste de directeur des affaires de la présidence. L'histoire retiendra que Poutine a été d'un grand secours à Eltsine en janvier 1999, lorsque la famille de ce dernier a été dangereusement menacée par des enquêtes menées sur des oligarques, tels que Berezovski et plus tard Khodorovski, PDG du géant pétrolier Ioukos. Lorsqu'il est nommé Premier ministre, Poutine était assuré de régner sur le Kremlin. Ses prises de position tranchées à l'égard de la Tchétchénie, bien que condamnées par l'opinion internationale, lui valurent la sympathie de ses compatriotes, à l'origine de sa fulgurante popularité. Mais Poutine devait faire avec l'éclatement de l'empire soviétique qui laissa sur le carreau un bon nombre de pays, habitués à s'abriter sous la coupe du grand ours. Le KGB avait vu venir la grande brisure. L'implosion était inévitable et l'URSS était contrainte de déposer le bilan pour éviter la banqueroute. Gérer la faillite ? Pas seulement, puisque Poutine et ses amis vont lancer une véritable guerre contre la délinquance financière, les détournements des biens de l'Etat. Elu triomphalement Lorsqu'il est élu président le 26 mars 2000 avec 52,52% des suffrages, ses adversaires, qui y voient un appartchik terne et sans consistance, en auront pour leurs frais, car le nouvel homme fort les démentira en gouvernant avec autorité, contrastant avec la période de désordre, même si les droits de l'homme et la liberté de la presse en prennent pour leur grade. Poutine s'acharne à remettre de l'ordre dans la maison Russie, mais son pouvoir est limité parce qu'il ne dispose pas de moyens pour mettre au pas tous ceux qui ont participé au pillage du pays depuis dix ans. Depuis son 2e mandat, le chef du Kremlin ne cesse de concentrer plus de pouvoir entre ses mains en fermant les radios et les chaînes TV en manœuvrant dans les deux chambres du Parlement où son parti dispose désormais d'une majorité de deux tiers... Nostalgique des années de feu où l'Union rivalisait avec les Etats-Unis et jouait un rôle d'équilibriste, Poutine a qualifié la chute de l'URSS « comme la plus grande catastrophe géo-politique du siècle dernier ». Redevenue très active sur la scène internationale, la Russie de Poutine fait face aux révolutions successives en Géorgie, Ukraine, Kirghistan, Ouzbékistan. Viktor Kremenouk analyste : « La Russie est située entre deux mondes. Elle est du côté de l'Occident, mais elle est aussi du côté de la Chine, de l'Inde et de l'Iran. Elle prend ainsi du poids, prétend connecter l'Occident avec des forces telles que le Hamas palestinien que Poutine a eu l'opportunité de recevoir au Kremlin. Le risque de tout cela est que la Russie se retrouve finalement ni d'un côté ni de l'autre. Tout dépend de combien de temps ses partenaires du G8 toléreront cela. » La Russie tente parfois quelques sursauts face à l'arrogance américaine, en faisant illusion. Poutine dénonce « cette dictature dans les affaires du monde enrobée dans une belle phrasologie pseudo-démocratique ». Cette pique s'adresse bien évidemment sans les nommer aux Etats-Unis, accusés de vouloir régner sur un monde unipolaire.Mais ce ne sont que de simples paroles, car depuis le cataclysme du 11 septembre 2001, la face du monde a changé et la Russie avec. Il y a eu un réchauffement des relations entre Moscou et Washington, unis autour d'un dénominateur commun : la lutte contre le terrorisme, qui, assurément, a bon dos... Parcours Vladimir Poutine est né le 7 octobre 1952 à Leningrad. Il est président de la Russie depuis mai 2000. Il effectue des études de droit à Leningrad et obtient son diplôme en 1975 avec la mention très bien, avec un mémoire sur la politique des Etats-Unis en Afrique. La même année, il entre au KGB où il est affecté aux renseignements extérieurs. De 1985 à 1990, il travaille en RDA. Après la chute du mur de Berlin, il retourne à Leningrad. Relativement jeune, c'est un sportif. Il pratique la lutte russe, le sambo et le judo depuis l'âge de 11 ans, joue au tennis. Il parle couramment l'allemand et l'anglais. Il est triomphalement réélu en 2004, car il jouit d'une bonne réputation auprès de ses compatriotes. Poutine est marié et père de deux filles. Il a une datcha près de Moscou.