Au moment où le statut de berceau de la tarîqa Tidjania est toujours disputé entre Fès, la marocaine, et Aïn Madhi, l'algérienne, Temacine a su garder l'essentiel de l'âme tidjane. A trois ans du bicentenaire de sa création, humble et travailleuse, celle qui a su préserver le legs du passé veut gagner la bataille de la modernité. La ville de Sidi Hadj Ali Temacini, saint homme et disciple de Sidi Ahmed Tidjani, fondateur de la tariqa Tidjania, ressuscite durant le Ramadhan, où des visiteurs venus d'un peu partout vivent au rythme des plus belles veillées ramadhanesques dédiées au dhikr, au medh et au chant soufi. Amateur de chant sacré, Sidi Mohamed Laïd Tidjani, l'actuel cheikh de la zaouïa Tidjania, veille à ce que chaque jour du Ramadhan renforce les liens des jeûneurs avec la beauté du verbe. Les cinq prières du jour, les séances de la wadhifa matinale, les taraouihs ou bien encore les longues veillées de lecture du Coran et les soirées du Samaâ, celles où on écoute les plus beaux madih du Prophète (QSSSL), chaque moment est un appel à la spiritualité. Chef-lieu de commune et de daïra, à 160 km de Ouargla, Temacine donne l'impression d'être isolée du monde, elle est pourtant loin de l'être, car c'est un endroit où l'on vient d'abord pour visiter l'une des plus grandes zaouïas d'Algérie, le 2e fief des Tidjans après le saint siège de Aïn Madhi à Laghouat. Le mausolée de Sidi Hadj Ali Temacini et le siège de la zaouïa sont situés à Tamellaht, près du ksar du même nom. Ils abritent depuis le début du Ramadhan les plus belles veillées ramadhanesques de la région. Ceci pour le présent, mais qu'en est-il du passé ? Sidi Hadj Ali, le fondateur Les traits de Sidi Hadj Ali Temacini se distinguent par une forte personnalité : bosseur acharné, amoureux de la terre et de l'univers, il était assoiffé de savoir et de vérité et doué d'un esprit d'entreprise exceptionnel. Connu pour sa grande humilité et sa verve, il est né en 1766 et portera à jamais le nom de sa ville natale qu'il sortira de l'anonymat grâce à son parcours édifiant. A 24 ans, et après avoir découvert Sidi Ahmed Tidjani par le biais de son délégué Sidi Ben El Mechri, il quitte Temacine pour Aïn Madhi à Laghouat avec une caravane d'élèves et d'adeptes d'Ahmed Tidjani près duquel les gens de Oued Souf se rendaient une fois l'an. Dès 1790, Sidi Ahmed Tidjani a été l'initiateur du jeune Temacini au soufisme. Le maître est né en 1737 à Aïn Madhi, il s'engagea dans les voies du soufisme dès son plus jeune âge et parcourut le Maghreb et le Machreq où il bénéficia d'un enseignement de haut standing à Tlemcen et Labiodh Sidi Cheikh, puis Bousemghoune où il a été promu cheikh éducateur en 1782 avant de s'établir à Fès. Il y fonda sa zaouïa et mourut en 1815 après avoir créé l'une des plus prestigieuses tariqa soufies du monde islamique comptant plus de 300 millions d'adeptes de nos jours. Les biographes de la Tidjania s'accordent à désigner Sidi Hadj Ali Temacini comme l'héritier suprême et grand calife de la tariqa Tidjania. Ordonné éducateur par son cheikh en 1803, il est chargé de fonder une zaouïa dans sa ville natale où sa maison a abrité l'école coranique et les cercles du dhikr avant la fondation de la zaouïa proprement dite en 1805. L'année 1815 marquera le grand tournant de sa vie ainsi que celle de la confrérie puisqu'il est devenu le dépositaire de l'héritage spirituel de son cheikh décédé la même année en lui confiant en outre le rapatriement de sa famille en Algérie. L'œuvre de Sidi Hadj Ali Temacini a été des plus déterminantes pour la survie de la Tidjania dont la direction spirituelle a été transférée de Fès, la capitale du savoir académique et de la civilisation musulmane au Maghreb vers Temacine, la petite oasis anonyme et isolée du désert algérien. Rien ne prédisait le succès de cette entreprise, mais le fait est que Temacine a su préserver l'âme de la Tidjania en lui offrant le climat propice à sa prospérité dans le calme et la sérénité qui assureront son expansion à travers le monde et notamment en Afrique noire. 1815-2012 : 197 ans de savoir, travail et spiritualité. Les descendants de Sidi Hadj Ali Temacini, décédé en mars 1844, restent convaincus de la noblesse de leur mission : celle de préserver l'héritage spirituel légué par leur aïeul. Preuve en est la désignation même de l'actuel cheikh de la zaouïa qui s'inscrit dans la modernité. Au-delà de la filiation et des prérequis personnels et religieux, il s'agit d'un docteur en physique des solides, enseignant-chercheur à l'université de Constantine jusqu'au décès de son père en janvier 2000. Pour Sidi Mohamed Laïd Tidjani, les maîtres mots restent la citation de Sidi Hadj Ali Temacini : «Je vous recommande la tablette, la houe et le chapelet jusqu'à ce que l'âme s'en aille.» Douze ans après son accession aux plus hautes fonctions de la zaouïa Tidjania de Temacine, celle-ci offre au visiteur l'aspect d'un angle moderne ouvert aussi bien sur les sciences sacrées que celles de la vie. Un air de chant soufi est toujours audible pour le visiteur qui ouvre ses oreilles et son cœur dans ce chantre de la spiritualité.