Alaâ Al Maârri a été le fondateur de l'existentialisme et de la philosophie du pessimisme dès la fin du IIIe siècle de l'Hégire. C'est pour cette raison qu'il va influencer les philosophes occidentaux de la Renaissance et, en particulier, Dante qui va être influencé par le philosophe arabe en écrivant La Divine Comédie qui reprend les grands axes de la réflexion maârienne. C'est à travers Rissalat al ghofrane que Maârri va fonder l'existentialisme et l'humanisme, d'une part ; et le pessimisme et l'inhumanité, d'autre part. Rissalat al ghofrane ou L'Epître du pardon va rendre compte de la révolte sisyphienne, mais d'une façon méthodique et rationnelle. Nous ne sommes plus dans le mythe mais dans l'envers du mythe. Le retournement de la philosophie platonicienne est assez remarquable, tant la méthode analytique de Maârri est d'une rigueur et d'une efficacité exemplaires. Né en 973 et mort en 1057 de l'ère chrétienne, à Maârrat annoumen, près d'Alep, en Syrie (Bilad Eccham, à l'époque), le philosophe était issu d'une famille très aisée et très lettrée. Dès l'enfance, à 4 ans, Maârri est atteint de la variole, il perd la vue définitivement . Adolescent, Abou Alaâ se révolte d'une façon radicale et sisyphéenne contre le sort qui lui a fait perdre la vue, et il va s'en prendre à la notion même de destin et de destinée. Issu d'une famille qui comptait dans ses rangs de grands théologiens, le jeune homme va réfuter la notion même de hasard. Ce qui ne sera confirmé qu'au XXe siècle avec la relativité d'Einstein et le degré incertitude, chez Heinsenberg. Ceci en ce qui concerne la méthodologie scientifique. La méthodologie d'El Maârri va préparer le terrain à Ibnou Rochd et ensuite à la philosophie de Husserl, Heidegger et enfin Sartre qui ne fera que vulgariser en fait le concept maârrien de l'existentialisme. Maârri avait osé remettre toute la philosophie musulmane, et du coup toute la philosophie grecque que les savants musulmans vont faire connaître à l'Occident ; mais en la développant et en la critiquant. A partir d'Abou Al Alaâ Al Maârri, la philosophie va installer le concept du doute, bien avant Descartes ; le concept du refus du dogme sans que ce qu'il avance ne soit vérifié scientifiquement, à partir de l'expérience et de l'accumulation des faits. Ainsi surgit, à partir du refus, les concepts du néant, de l'ennui, de l'existence et de l'athéisme. Souvent, on a considéré Abou Al Alaâ, comme un aveugle qui a fait de sa cécité un bouclier pour tout remettre en question. Cela était la thèse de ses adversaires, dont le pouvoir politique en place et le pouvoir religieux qui lui était soumis et qui ne servait qu'à légitimer ce dernier. Certes, la cécité d'Al Maârri avait joué un rôle important dans sa prise de conscience et de sa remise en cause de l'explication de tous les phénomènes matériels et immatériels inventoriés d'une façon catégorielle et catégorique sans aucune explication rationnelle ; à partir d'un postulat religieux qu'on ne devait absolument pas remettre en question. Maârri a osé tout remettre en question. Mais il vivait à une époque où malgré un certain dogmatisme et un certain autoritarisme, il y avait la possibilité de discuter avec ses adversaires sans encourir la peine de mort. Ainsi Maârri put déployer de nouveaux concepts et de nouvelles abstractions philosophiques grâce à ses capacités d'analyse, à son érudition extraordinaire et grâce à sa tenacité légendaire. Ainsi, non seulement il s'imposa à ses pairs versés dans la théologie, la philosophie, les sciences exactes, les sciences expérimentales et les « ouloum al kalam oua addahd hi oua al balagha » ; mais on lui permit, même, d'aller dans les grandes universités de l'époque pour répandre son enseignement et son savoir. Ainsi l'avant-gardisme d'Abou Al Alaâ Al Maârri va se répandre en Occident et va y produire des ruptures épistémologiques, dont l'effet se fera sentir surtout au XXe siècle avec l'avènement des nouvelles théories tant philosophiques que scientifiques. A la fin de L'Epître du pardon, Abou Al Alaâ affirme cette profession de foi : « Je ne puis admettre que les gouvernants introduisent l'obscurantisme et l'injustice dans la société musulmane. » Mais en bon dialecticien, il ajoute : « Je ne sais pas si je possède la religion, sans l'intelligence ; ou si je possède l'intelligence, sans la religion. » Vaste question qui contient, en elle, tous les prolégomènes et tous les questionnements de la philosophie contemporaine.