Evénement cinéphile mondial, parfois aussi mondain : mais pas de bataille pour aller aux fêtes, comme à Cannes, le Festival de Locarno montre dans la rétrospective Otto Preminger un western, un bijou de finesse, de beauté et de passion dans lequel surgit Marilyn Monroe, celle dont tous les hommes rêvaient. Il s'agit du chef-d'œuvre de Preminger : River Of No Return (Rivière Sans Retour) tourné en 1954 en cinémascope et technicolor pour la 20th Century Fox, dans les décors naturels sauvages et sublimes à la fois des parcs nationaux canadiens de Banff et Jasper, dans la province de l'Alberta. Dans ces parcs coulent de grandes rivières en flots impétueux, en cascades rarement vues ailleurs. Décors saisissants. Marilyn Monroe, au top de sa carrière, avait imposé un acteur au lourd regard et à la dégaine impressionnante, Robert Mitchum, comme partenaire. La Fox n'avait qu'à se plier à ce choix judicieux. C'est une histoire de chercheurs d'or, où les radeaux emportés par les furieux courants d'une rivière remplacent les chevauchées dans le désert, hanté par la folie des vivants et le souvenir des morts. Au fil des aventures dangereuses et des exploits formidables, la situation est mûre pour une alchimie très sensuelle entre Monroe et Mitchum, et donne à la mise en scène de Preminger une bouleversante beauté. Rivière Sans Retour, c'est certainement l'un des plus beaux westerns américains. La rivière (qui est en fait un fleuve) joue dans cette œuvre le tout premier rôle, avec ses flots et ses cascades où à deux reprises pendant le tournage Marilyn Monroe a failli se noyer. Une touche pleine de grâce vient aussi des chansons qu'interprète Marilyn qui ne se contentait pas d'avoir ce look somptueux mais aussi une voix sublime. «There is a river called the river of no return / sometimes it is peaceful and sometimes wild and free/ I lost my lover on the river and for ever my heart will yearn» (traduction : il est une rivière qu'on appelle rivière sans retour/elle est tantôt paisible, tantôt sauvage et libre/j'ai perdu mon amour sur la rivière et à jamais mon cœur soupirera). Otto Preminger fait partie comme Fritz Lang et Joseph Manckiewicz des cinéastes autrichiens, allemands et polonais qui ont fui l'Europe entre les deux guerres, dans les années trente, pour aller faire les plus beaux films à Hollywood. Preminger a quitté Vienne pour New York d'abord pour faire du théâtre, ensuite à Los Angeles pour entamer une brillante carrière dans les studios de cinéma. A 38 ans, en 1944, il a tourné son premier film Laura. Sont venus à la suite beaucoup d'autres que la rétrospective, très courue, du Festival de Locarno a réussi à sortir de leurs bobines comme Bonjour Tristesse, Carmen Jones, Porgy and Bess... Pendant 11 jours, Locarno devient la capitale culturelle de la Suisse, avec un impact médiatique qui dépasse largement les frontières du pays. Le cinéma suisse fait un retour remarqué sur les écrans du festival, mais rien encore de comparable avec la vague des années 1970 et les grands films de Tanner, Soutter, Murer (largement montrés à l'époque à la Cinémathèque d'Alger). La vague actuelle enchaîne fictions et documentaires, et des auteurs déjà établis comme Ursula Meier, Nicolas Wadinoff, Christoph Schaub, Hans Ritcher... A noter un documentaire intitulé Capitaine Thomas Sankara, réalisé par Christophe Cupelin, cinéaste de Genève : un très émouvant requiem pour le Président très populaire du Burkina Faso, victime d'un sale coup d'Etat, assassiné froidement à Ouagadougou avec la complicité de la Françafrique. L'aura de Thomas Sankara a rayonné et rayonne encore à travers toute l'Afrique. C'était un jeune président très dynamique, très intelligent et très simple à la fois. Il n'avait que mépris pour les avantages que procurait la fonction de chef d'Etat en Afrique. On le voyait à Ouaga pédaler sur son vélo et s'arrêter souvent pour s'enquérir des problèmes des habitants frappés de plein fouet par la pauvreté. Christophe Cupelin a réuni de précieuses archives et tracé un portrait très fort de celui qui a fini trahi et exécuté, comme Lumumba au Congo.