-Le débat sur l'histoire du chaâbi revient au-devant de la scène. Une musique née à la Casbah d'Alger… La Casbah d'Alger avait regroupé des familles andalouses avant le colonialisme français. Après l'occupation française, ces familles étaient parties à Fes, Tétouan, au Maroc, et vers le pays du Cham, Syrie, Palestine et Liban. A l'époque, il y avait la croyance qu'un pays commandé par les mécréants devait être quitté. Ces familles exerçaient entre autres les métiers de dinanderie, de bijouterie, de bourrellerie… Des produits manufacturiers français avaient remplacé ces produits d'artisanat. Au facteur religieux s'étaient ajoutées les difficultés commerciales motivant le départ à l'étranger. La plupart de ces familles sont restées là-bas, notamment à Damas où elles avaient été rejointes par la famille de l'Emir Abdelakder. Dépossédée de ses terres par le colonialisme, la population de la Kabylie était venue s'installer à La Casbah. La musique andalouse n'était plus en adéquation avec le nouvel environnement social. Il fallait donc une autre musique. El Hadj M'hamed El Anka avait compris ce besoin avec une musique liée à une certaine urbanité. Il avait donc composé une musique plus légère accompagnée de textes moins fouillés proches de la langue usuelle. Le chaâbi s'était donc installé. Des maîtres avaient apporté leur contribution, tels que Cheikh Nador et Cheik El Meddah. -La consécration d'El Anka s'était faite par étapes… Oui. L'apprentissage avec le maître, l'imitation… La musique chaâbie est récente. Elle remonte aux années 1940 avec la création d'orchestres, l'adoption d'un jeu particulier du mandole et du banjo. Le banjo a été accordé à la musique chaâbie. Il en est devenu essentiel dans l'orchestration. El Anka était précurseur, mais il y avait des musiciens autour comme Kaddour Cherchalli. Mustapha Skandrani avait ajouté sa touche au jeu du piano. Tout cela s'est fait par étape. Des orchestres avaient été créés à la Radio. Les musiciens s'étaient professionnalisés. On avait commencé à répéter, à jouer deux à trois fois par semaine. A Alger, on savait un mois à l'avance le programme qui allait être présenté par un artiste, l'heure et le lieu du concert. C'était dans les années 1940 ! Ce professionalisme avait permis l'émergence d'excellents instrumentistes tels que Abdelghani Belkaïd au violon et El Anka au mandole et au chant ainsi que d'autres chanteurs comme M'rizek, Menouar… El Anka a eu l'ingénieuse idée d'agrandir le manche du mandole pour avoir plus de possibilités. Cela lui avait permis de se stabiliser sur le ré pour chanter. Il était plus à l'aise reproduisant graves et aigus. El Anka avait donc donné un certain timbre au chaâbi. Il avait donné de l'importance à la derbouka, devenue un instrument d'accompagnement, pas un simple instrument rythmique… Tout cela était le fruit d'un travail. Le métier était là. Le chaâbi était accepté par la population, laquelle considérait l'andalou comme une musique plus savante. Boudali Safir avait donné cette dénomination de «d'orchestre chaâbi» pour le différencier d'un orchestre andalou, d'un orchestre moderne ou d'un orchestre kabyle. Donc, chaâbi en tant que concept est à prendre dans ce sens musical, pas le sens premier, étant entendu que beaucoup de choses sont populaires (…). Le chaâbi a évolué. On parlait à l'époque de chaâbi M'çanaâ qui utilisait quelques rythmes de la nouba, plus langoureux jusqu'aux années 1950. -Les choses ont évolué autrement après l'indépendance de l'Algérie en 1962... Après 1962, le chaâbi avait pris plus de liberté avec l'avènement des chansonnettes initiées par Mahboub Bati, avec l'apparition d'orchestres modernes, l'influence extérieure. Les choses se sont développées en bien ou en mal. Dans les années 1990, le chaâbi a connu une certaine stagnation. Le Festival culturel national de la chanson chaâbie va contribuer à renouveler cette musique. Le fruit sera récolté dans dix ou quinze ans. Il y a un certain intérêt pour cette musique grâce à ce festival. Des Master class et des conférences sont organisées, des textes ont été corrigés… Il y a une certaine reprise en charge… -Avez-vous vu le documentaire irlandais El Gusto sur le chaâbi (réalisé par Safinez Bousbia), et l'album qui l'accompagne ? J'ai vu l'orchestre El Gusto à Paris. Il s'agit d'un pot pourri, un mélange de musique. Ce n'est pas du tout du chaâbi. L'élaboration de l'orchestre El Gusto vise certains desseins. Cet orchestre ne fait pas dans le chaâbi pur. Il fait dans la chansonnette. On entend des chants français. Donc, derrière cette forme nostalgique se cache quelque chose d'inapproprié. C'est une déformation de l'Histoire du chaâbi. A mon avis, il faut entreprendre des actions pour contrecarrer cela…