Elle est jeune. Elle a 31 ans. Elle est jolie. Elle a du talent à revendre et est tombée follement et éperdument amoureuse d'une musique. Le chaâbi ! Tellement passionnée qu'elle en fera tout un film. El Gusto ! Le «Buena Vista Social Club» algérien. Elle s'appelle Safinez Bousbia. Elle en parle avec affection et bien sûr avec «gosto», avec bonne humeur quoi ! -Enfin, El Gusto est à l'affiche en Algérie… Ah oui !, je suis très heureuse. Cela fait quand même un combat mené depuis très longtemps. L'idéal aurait été de le sortir en parallèle et en même temps. Ce n'est pas grave. L'essentiel, c'est que maintenant, nous avons le visa d'exploitation. Malheureusement, nous n'avons pas eu le temps de vraiment sortir le film correctement, parce que cela nous a pris plusieurs mois à attendre le visa (d'exploitation). Et quand on l'a obtenu, on a été piratés, deux jours après. (rires). Aussi, j'ai passé mes journées à suivre les inspecteurs, les agents de l'ONDA… Et le seul moyen, réellement, de lutter contre le piratage, était de faire sortir le film officiellement (El Gusto en DVD). Du coup, j'ai signé avec les éditions Padidou quant à sa sortie en DVD. Cela a chamboulé complètement la sortie d'El Gusto, parce qu'on voulait organiser une projection-presse, une avant-première, une sortie dans les salles de cinéma et puis après celle du DVD. Le fait que le visa d'exploitation soit arrivé tellement tard, cela n'a pas pu se faire. -Votre film est sorti en janvier 2012. Pourquoi un tel retard accusé pour l'approbation du visa d'exploitation ? Ecoutez, je n'ai eu aucune réponse (depuis la sortie mondiale). Moi-même, j'ai envoyé plusieurs courriers au ministère (de la Culture), à la ministre elle-même, avec des accusés de réception. Je n'ai eu aucune nouvelle. J'ai essayé de contacter le ministère (de la Culture) à plusieurs reprises , mais on refusait tout avec moi. -Une frilosité, une gêne… J'aimerais bien le savoir moi-même. Je me pose la question. Tout le monde me dit que peut être c'est «l'histoire juive». Mais jamais cela n'a été dit comme ça, c'est le problème. -Votre film El Gusto parle de musique, de chaâbi… Exactement ! Vous savez, par exemple, quand le film est sorti (dans le monde), il y eut beaucoup de polémiques en Algérie, parce que les gens ne l'ont pas vu. Aujourd'hui, depuis sa sortie en DVD, les commentaires deviennent de plus en plus positifs, plutôt que négatifs. Il y a eu beaucoup de rumeurs sur le contenu, au début. Comme quoi l'on aurait dit dans le film que l'origine du chaâbi, c'était les juifs et que c'est grâce à eux que le chaâbi s'est mis en place. Cela n'a jamais été dit dans le film, mais les gens y ont cru parce que la rumeur a été entretenue. Une rumeur, plus une autre, encore une autre, cela tue un film. A ma grande surprise, les gens ont adoré quand ils ont vu le film. Et contre toute attente, ce sont les jeunes qui ont aimé El Gusto. Le plus grand fan-club est formé essentiellement de jeunes, alors que je croyais qu'El Gusto, une histoire de vieux chanteurs, va être apprécié par des gens d'un certain âge. Et bien non ! Ces jeunes sont très actifs, c'est génial. Honnêtement, je n'ai aucun gain financier à faire sortir le film en Algérie. Cela a été un principe personnel par rapport à moi et à mes musiciens. On voulait quand même célébrer cela avec nos proches, nos familles chez-nous. Cela aurait été l'idéal, mais ce n'est pas le cas. Ce n'est pas grave. On a été très contents quand a eu le visa (d'exploitation). C'est très important que le film sorte en Algérie. -El Gusto, distribué par Cirta Films, sort à Alger, à la salle Cosmos uniquement... Ecoutez, il n'y a pas beaucoup de salles en Algérie. On le sait. Je crois qu'à part Alger, il n'y a pas d'autres cinémas. Et même à Alger, les salles obscures se comptent sur les doigts d'une main. Si l'on fait le tour, la plupart sont fermées. Les seuls cinémas qui sont opérationnels sont Cosmos et Ibn Zeydoun de Riadh El Feth (OREF). Le Mougar appartient au ministère (de la Culture) et on n'y a pas eu accès. Le cinéma L'Afrique n'est encore pas officiellement inauguré. Et maintenant, on n'a trouvé que le cinéma Cosmos qui ait pris le film. Je crois qu'il est important que les Algériens voient El Gusto sur grand écran, parce que c'est un film qui a eu beaucoup de moyens, des vues aériennes… -El Gusto, une excellente facture… Du fond de mon cœur, on a réussi. Le film est sorti. Le film est vu par les gens (à travers le monde). Le film sort en salle en Algérie. -On espère que la formation El Gusto se produira en Algérie. Une tournée… Personnellement, la chose qui me reste à accomplir, c'est que l'orchestre joue en Algérie. On a entamé des discussions, des démarches et déposé des dossiers auprès des autorités. -Les Cubains de Buena Vista Social Club ont bien tourné dans le monde à l'issue du succès phénoménal du film de Wim Wenders… Je vais vous dire, cet été, l'orchestre El Gusto a une tournée de 20 dates de concerts, notamment en Norvège, en Suède, en Belgique, en Suisse et en France. -Mais aucune date en Algérie… Aucune date en Algérie. Vous savez, on a fait Arles le 13 juillet dernier. C'était une superbe soirée d'El Gusto (l'orchestre) dans les arènes. La directrice du festival m'a dit qu'elle avait de nombreux amis artistes qui vont faire plein de concerts en Algérie, que tout le monde parle de l'Algérie parce qu'il y a énormément de festivités, et elle me pose cette question : «Et El Gusto, en fait, quand est-ce qu'il y joue ?» Je lui ai répondu : «Pas encore.». Sa réaction : «Cela n'est pas possible ! Mais il y a beaucoup de Français qui travaillent en Algérie. Et les Algériens, eux-mêmes, ne travaillent pas ?» Mais je n'ai rien trouvé à lui répondre. (rires). On demeure très ouverts à toute proposition. On est partants pour tout. Pour toute collaboration, on n'est pas difficiles. -Comment a germé le projet d'El Gusto ? En fait, il n'a jamais germé. (rires). Il est venu comme ça… En fait, je n'ai pas choisi de faire un film sur la musique chaâbi. Moi, je suis architecte, j'habitais en Irlande, je suis d'origine algérienne et je n'ai jamais connu l'Algérie, vraiment. J'ai déjà été. Ce n'était pas la première fois, mais je ne connaissais pas. Une fois venue avec une copine irlandaise, j'ai fait un peu «la touriste» et on s'est promenées dans toute la Casbah, Alger-Centre… On découvrait la ville. Et en nous baladant dans la Casbah, nous avons vu un miroir accroché à une échoppe et on est entrées pour l'acheter. Le miroitier s'appelait Mohamed Ferkioui, une personne adorable, qui tient cette boutique jusqu'à maintenant. Il m'a dit que sa musique, sa passion, c'est le chaâbi, Il m'a parlé surtout de sa grande fierté d'avoir été un élève de la première classe de musique chaâbi au conservatoire municipal d'Alger, chez El Hadj M'hamed El Anka, le maître du chaâbi. Il m'a montré des photos de cette classe. Je lui ai dit : «Ils sont où tous les gens qui étaient dans cette classe ?». «Certains sont morts, d'autres ont déménagé ou ont disparu, on ne sait où…» Au départ, je ne pensais pas faire un film. Je m'étais dit : pourquoi ne pas aider ce monsieur à retrouver ses copains ?» Je m'attendais à ce que cela prenne deux, trois mois, cela a pris deux ans et demi. (rires). C'est dû au travail de recherche de ces anciens musiciens. Il faillait les trouver après avoir été relogés, par exemple de Zoudj aâyoun à Dergana, ou encore à la Glacière. J'ai dû faire du porte-à-porte. Le boucher, le teinturier, le propriétaire du pressing et autre épicier, comme ils connaissaient toutes les «archives» du quartier, cela a aidé à les retrouver. Une fois que je les ai retrouvées, je me suis dit : «C'est une superbe belle histoire.» C'est un film, quoi ! Comme je n'ai pas trouvé de réalisateur mais des producteurs qui souhaitaient le faire, ils trouvaient que le projet était trop coûteux et pas assez rentable. Du coup, je me suis retrouvée à faire le film petit à petit, à faire tourner l'orchestre, à produire le spectacle… C'était une longue et belle expérience. -El Gusto est gorgé de chaleur, de générosité, de tolérance, de nostalgie et de mélomanie, avec des retrouvailles après… 50 ans, à Marseille… Ah ! C'est génial ! Au début, quand on a réuni la formation, il faut comprendre que ce sont des hommes qui ont des passés très durs. Il y a certains qui ont vu même leurs propres enfants se faire égorger pendant la décennie du terrorisme. D'autres, portés disparus. Et cela, sans parler de la guerre d'Algérie où ces hommes ont été torturés, donc des hommes qui ont un bagage psychologique très lourd. Il y a certains musiciens qui n'ont pas touché un mandole depuis 15 ans. Les regrouper, c'était une chose et les faire travailler ensemble en était une autre. Et dans le chaâbi, il y a des clans (obédiences). Les clans de Bouzaréah, El Harrach… Au départ, c'était très compliqué. Mais petit à petit, cela a changé. Par exemple, dernièrement, en revenant d'Arles (France), un des musiciens a perdu une enveloppe contenant tous ses cachets de la tournée. Aussi, tous les musiciens ont cotisé pour lui rendre sa somme. Pour moi, c'est un symbole de ce qu'on a réussi. C'est de créer pas un orchestre, mais une vraie famille représentant la belle Algérie. Et ils exportent cela à l'étranger. C'était beaucoup d'amusement même dans les pires moments. Des rires et des fous rires. Les musiciens avaient toujours ce gusto (bonne humeur). -L'esprit gusto… Eux-mêmes, ils vivent cet esprit gusto (bonne humeur). Quand on bosse dur et on n'est pas bien, cela remonte le moral. Et incroyablement. Et c'est « contagieux » ! Mais dans le bon sens, quoi !(rire). -Le chaâbi, quelle belle musique ! Ah oui, absolument ! J'adore le châbi ! Honnêtement, j'ai beaucoup de respect pour l'andalou. Mais je n'aime pas, par rapport à mon goût. Le chaâbi me touche, parce que j'aime beaucoup le jazz. Et le chaâbi ressemble au jazz à travers ses modes.
Salle Cosmos Riadh El Feth-Alger Tous les jours à 14h-16h-22h A l'affiche le film El Gusto de Safinez Bousbia , distribué par Cirta Films Billet : 150 DA EL Gusto est disponible en DVD Edité par Padidou