La poule peut encore se la couler douce. Elle a de beaux jours devant elle. Des animaux de la basse-cour, elle qui faisait tant de saleté pour ne pondre que quelques œufs par an, la voilà promue au rang de chef. Même le coq, autrefois dignement dépositaire de l'autorité publique, a perdu en galon. Son « chant » n'est plus qu'un son étranglé au lever du jour. La vache cajolée pour son lait est aujourd'hui menacée. Tandis qu'elle broute tranquillement, elle reste aux aguets. Les humains, grand consommateur de viande blanche, se sont rabattus sur les ovins et bovins depuis la fatidique grippe aviaire. Tous les matins dans la ferme, les animaux se réunissent et se demandent : « A qui le tour maintenant ? Qu'ont-ils ces Algériens qui consommaient encore l'année dernière 14 kg de volaille par an et par personne ? », suppute la vache. « Dire qu'à chaque occasion, ils n'hésitaient pas à égorger une poule », renchérit le bœuf. Le mouton, qui sait que ses jours sont comptés, feint d'avoir la tremblote. Maladie connue qui lui confère un statut privilégié. Les humains, qui craignent pour leur santé, évitent de le consommer dès l'apparition des symptômes de la tremblote. Sa laine fera l'affaire. Au chamboulement d'exercice de pouvoir qui s'est opéré cette année dans la basse-cour, de nombreux congénères moutons ont disparu sous la lame d'un couteau. Alors pour sa survie, il feint la tremblote et n'a de toute façon aucun mal. Il a tellement peur, qu'il en tremble. Pas peur de la grippe aviaire, ça c'est pour les poules et les humains. Non, juste peur de passer à la casserole. De la chtetha djedj, nous voilà à la saison du ragoût de mouton. La poule qui passait son temps en courbette, et pour picorer, et pour se faire oublier, a aujourd'hui déployé son plumage. Même son « cot cot » est devenu plus rauque. « Qui l'eut cru ? », reprend le bœuf. « Une poule chef de la basse-cour », s'indigne le coq. « Qui a dit quand les poules auront des dents », s'esclaffe la poule. (1) Film d'Alfred Hitchcock