La libération des salafistes accusés de violence à l'encontre des organisateurs de la manifestation de soutien de la mosquée Al Aqsa a soulevé un tollé général sur la scène politique et culturelle en Tunisie, notamment à Bizerte, où se sont déroulés les derniers incidents. La décision du tribunal de Bizerte, annoncée mercredi matin, de libérer les quatre salafistes accusés d'avoir agressé physiquement les organisateurs d'une manifestation politico-culturelle, n'est pas passée inaperçue. L'indignation est d'autant plus grande dans les sphères intellectuelles que «c'est un épisode de plus dans le laisser-aller des autorités à l'encontre des dépassements des salafistes», comme l'a souligné Khaled Boujemaâ, secrétaire général de l'association Liberté et Equité, sérieusement amoché dans ces incidents, qui s'est dit étonné de «voir la justice libérer les agresseurs juste après la confrontation entre nous, les victimes, et nos bourreaux». «Je vais continuer à lutter pour que justice soit faite. Je ne vais pas lâcher prise», a-t-il toutefois affirmé avant-hier soir alors qu'il venait contester avec d'autres composantes de la société civile cette «complicité» des autorités. De son côté, Abdessattar Ben Moussa, président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, a insisté sur les signes inquiétants d'absence de rigueur contre ces atteintes aux libertés. «Ce n'est pas normal que l'on permette le sabotage des spectacles de Lotfi Ebdelli à Menzel Bourguiba, d'une troupe soufie à Kairouan et que l'on finisse par des violences graves à Bizerte sans que les autorités appliquent de sanctions contre ces dépassements», a-t-il contesté. «Les salafistes ne sont pas au-dessus des lois et la violence de l'Etat doit être exercée contre l'intolérance qui a atteint des limites inacceptables», a-t-il poursuivi. Interrogée sur les conséquences d'une telle indifférence des autorités et sur son éventuelle peur pour l'avenir des libertés en Tunisie, l'universitaire féministe Sana Ben Achour s'est montré sereine : «Bien qu'il y ait un véritable risque encouru par les acquis modernistes et démocratiques de la société, je n'ai pas vraiment peur après la révolution de la dignité qui a vu tout un peuple se soulever contre l'oppression, la tyrannie et la marginalisation. J'ai confiance en notre volonté, individus, associations et partis, en vue de bâtir la Tunisie de la dignité et de la liberté, la Tunisie de l'égalité et de la justice sociale», a-t-elle indiqué. Pour ce qui est de l'explication de la montée de ce phénomène, le penseur islamiste Salaheddine Jourchi trouve qu'il y a «un esprit revanchard de certaines sphères du Golfe qui n'ont pas digéré la montée de la pensée moderniste en Tunisie depuis le milieu du XXe siècle». «Ces sphères investissent de grandes sommes d'argent pour le soutien de ces pensées rétrogrades», a-t-il expliqué dans une récente intervention à la télé nationale. Le «spectacle» salafiste en Tunisie s'est compliqué davantage avec l'annonce faite à partir de la France par un élu régional manceau qui a été roué de coups par des manifestants salafistes. Jamel Gharbi, 62 ans, conseiller régional PS de la Sarthe depuis 2010 et chargé de mission insertion à la Ville du Mans, a été agressé alors qu'il marchait dans le quartier du port de Bizerte, le 16 août, en compagnie de son épouse et de sa fille de 12 ans. «Où va-t-on avec ce laisser-aller ?», s'est demandé le bâtonnier de l'Ordre des avocats, maître Chawki Tabib. Du côté du gouvernement, le ministère de la Culture a vu dans l'annulation forcée des spectacles de Lofti Abdelli à Menzel Bourguiba et celui de la troupe soufie à Kairouan une «atteinte à la liberté d'expression». Des plaintes ont été déposées auprès du parquet contre ces agissements. «Mais c'est très mou comme réactions», rétorquent les associations de la société civile.