A l'image de la société, la classe politique tunisienne et son interface médiatique bougent et s'adaptent aux nouveaux défis. Un an et demi après le chute du régime Benali et à huit mois du prochain rendez-vous électoral, la Tunisie de dirige vers une reconfiguration de ces paysages qui imprègnent une dynamique inédite à la vie quotidienne. En politique, la gauche tunisienne se ressaisit après avoir perdu les élections de la Constituante le 23 octobre 2011. Conscientes de l'échec cuisant essuyé dans les urnes, les différentes formations, qui composent le spectre large de la gauche, semblent tirer les bonnes leçons et structurent leurs rangs en prévision des prochaines batailles politiques. Au centre, l'initiative de Beji Caïd Essebsi (BCE) rassemblant autour du symbole Bourguiba, enregistre une large adhésion de la population. Cette dynamique s'est traduite fin mars dernier, par la fusion de plusieurs formations politiques au terme de deux congrès. Il s'agit d'abord d'Attajdid, le Parti du travail tunisien (PTT) et le Pole Démocratique, lesquels ont créé ensemble La Voie Démocratique et Sociale. Une semaine après, c'était au tour du PDP de Ahmed Nejib Chebi de créer avec Afak Tounes, et le parti Républicain et d'autres formations plus modestes, un nouveau pôle de tendance centriste libérale. Quelques jours auparavant, l'ancien Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, a réussi un meeting populaire spectaculaire à Monastir, ville natale de Habib Bourguiba, en rassemblant les forces centristes et démocratiques dans l'objectif de lancer une alternative de salut devant ce qui est qualifié de danger islamiste. L'initiative a été couronnée par la création du mouvement «Nida Tounes» (l'appel de la Tunisie), qui a soulevé une large adhésion autour de la personnalité consensuelle de BCE et ses mots d'ordres fédérateurs. Après l'effritement, la concentration. D'ailleurs, les trois leaders, Béji Caïd Essebsi, Ahmed Néjib Chebbi et Ahmed Ibrahim, se sont rencontrés le 19 juillet dernier, pour négocier une éventuelle fusion entre les trois mouvements. Décantation Interrogé par El Watan au sujet de cette dynamique chez les démocrates, le journaliste Zied Krichène estime que «l'unification est la moindre des politesses .Ce n'est pas qu'ils soient intelligents, ils ne font que rattraper ce qui peut l'être après la débâcle du 23 octobre». Certes, ces initiatives interviennent un peu en retard par rapport aux élections, mais le déplacement des lignes partisanes, le changement des objectifs stratégiques et des programmes n'ont-ils pas besoin du temps nécessaire pour les décantations ? En tout cas, on parle d'un futur politique bipolarisé en Tunisie. Mais il n'est pas encore tranché si l'adversité se jouera entre démocrates et islamistes ou entre démocrates de gauche et ceux du centre à l'exclusion des islamistes. L'actualité politique tunisienne ne manque pas d'animation. Le CPR de l'actuel président de la République, Moncef Marzouki, a entamé son congrès avant-hier vendredi et tire déjà sur les islamistes. La bataille entre la troïka au pouvoir et l'opposition enregistre chaque jour de nouveaux épisodes, alors que la violence islamiste gagne du terrain. La célébration de la fête de la République, le 25 juillet, a fait remonter les hostilités. Maya Jribi, secrétaire générale du Parti républicain a déclaré sur les ondes d'une radio indépendante, que l'absence de son parti aux festivités organisées par la troïka à l'Assemblée constituante se voulait «une position ferme face au refus de la majorité au pouvoir de dialoguer avec l'opposition». Le camp démocratique se nourrit de tirs incessants contre la troïka au pouvoir, phagocytée par le parti islamiste Ennahdha, considéré comme l'ennemi à abattre. La liberté de la presse en jeu Dans cet objectif, les modernistes tablent sur l'échec du gouvernement de Jebali et l'émiettement de la base électorale du parti de Rached Ghannouchi. Une idée qui divise les observateurs. «Pour Ennahdha, je les vois mal descendre dans une année sous le seuil de 20% d'électorat (ils ont eu 37% aux élections de la constituante, ndlr), ils ont un socle d'électorat inconditionnel de 20 à 25%», estime encore l'analyste Zied Krichène. Dans les médias, le boom ayant marqué le paysage national avec la naissance d'une multitude de radios, de chaînes télé et de journaux épouse de manière générale l'évolution politique. Le vent de liberté qui souffle depuis la révolution a permis à de nombreux professionnels de lancer des projets de médias, mais pas seulement. Des politiques, des hommes d'affaires et de parfaits anonymes entrent aussi sur scène en injectant des fonds pas forcément propres, en vue d'influencer l'opinion publique. Le journal Le Maghreb est sans doute l'expérience la plus intéressante. Interdit par Benali, Le Maghreb a gagné le challenge de la reparution en trônant en tête des meilleures ventes. Sa ligne éditoriale, sa maquette et son contenu lui ont permis d'émerger dans les kiosques ; l'installation en amont d'un conseil de rédaction, composé d'universitaires et de professionnels, comme autorité morale pour veiller à l'indépendance et l'objectivité du journal a contribué à forcer le respect chez les lecteurs. Quand les organes publics inféodés hier à Benali peinent à trouver de nouvelles marques, les nouveaux venus manquent encore de professionnalisme et de la hauteur nécessaire pour apporter un plus à l'effort de refondation de la Tunisie. En place, le public a l'embarras du choix devant les programmes et les articles pléthoriques qui accompagnent tendancieusement une actualité politique hypertrophiée. Cela dit, le milieu est chaque jour essoré par un débat à deux niveaux, public et interne, où dominent la critique, l'autocritique et aussi l'inquiétude relative aux lois sur la presse et la liberté de la presse dont devra accoucher l'Assemblée constituante. Le syndicat des journalistes, débarrassé des hommes de Benali et soutenu par les forces démocratiques, ne manque pas une occasion pour avertir sur les velléités de museler les médias. Un enjeu décisif pour les forces en compétition aujourd'hui.