Le constat d'une ruée folle sur les postes frontaliers dès minuit après l'annonce de la décision royale d'annuler le visa pour les Algériens dément cette rumeur qui a circulé dans les villes frontalières. Hier, à Abid Lotfi, les différents responsables sur place ont démenti toute information selon laquelle des ressortissants algériens se seraient précipités sur les frontières. « S'il y avait un aéroport à Maghnia, vous pourriez embarquer tout de suite à destination du Maroc », a affirmé sur un ton humoristique le commissaire de la police des frontières. Nous avons quand même remarqué la présence d'un émigré sur les lieux. « Je me disais que peut-être les frontières seraient ouvertes automatiquement après la suppression des visas », a-t-il souligné. Est-ce le prélude à un réchauffement effectif des relations entre l'Algérie et le Maroc ? Toujours est-il que la suppression des visas pour les Algériens désirant se rendre au pays chérifien n'a pas laissé indifférente la population de l'extrême-ouest du pays en particulier. « C'est un bon geste de Mohammed VI que nos gouvernants doivent apprécier à sa juste valeur. C'est un grand pas que nous devons considérer comme une invitation à un début de réconciliation », indique, ému, Abderahim B., industriel. Ahmed B. abonde dans le même sens, mais avec prudence : « Cette décision royale signifie-t-elle des excuses indirectes à l'Etat algérien après que le gouvernement de Driss Basri eut instauré le visa après avoir humilié et brutalisé des touristes algériens en 1994 pour une histoire d'attentat imputé aux services algériens ? » « Se rendant compte de leur bourde (une décision unilatérale), les Marocains perdant sur toute la ligne n'ont pas tardé à enclencher un forcing sur les autorités algériennes pour la réouverture des frontières. Maintenant que les Marocains sont revenus à de meilleurs sentiments, nous, citoyens, estimons qu'il est de notre devoir eu égard au voisinage de faire un effort pour répondre à cette main tendue en montrant nos bonnes intentions pour la construction du Maghreb des peuples sur des bases saines et pas sur une politique d'hypocrisie », déclare, pour sa part, M. Nouali, un responsable politique local. Quoique réticents les blessures n'étant pas encore cicatrisées, les citoyens rencontrés pensent qu'« il est temps que les frontières terrestres soient rouvertes ne serait-ce que pour permettre aux familles des deux pays se trouvant sur la bande frontalière de gagner et du temps et de l'argent pour échanger des visites ». Même si elles l'ont toujours fait en empruntant clandestinement un itinéraire appelé curieusement « la route de l'unité ». La suppression du visa a été aussi très bien accueillie par les Algériens ayant investi beaucoup d'argent au Maroc et dont la plupart sont en litige avec leurs associés, des ressortissants du pays voisin. « En 1988, animés de bonnes intentions et de grande volonté, nous avons fondé des entreprises au Maroc. La fermeture des frontières en 1994 nous a été fatale, puisque profitant du conflit politique, certains de nos associés malhonnêtes nous ont spoliés. Nous ne pouvions prendre sérieusement en charge notre contentieux devant les tribunaux marocains parce qu'il nous fallait être continuellement présents sur le sol marocain, ce qui n'était pas notre cas à cause du défaut de visa. Et comme les absents ont toujours tort, nous avions tout perdu. La suppression du visa est un premier pas. Espérons seulement que cela aboutira à une nouvelle dynamique et qu'aucune partie ne sera lésée. » Dans son discours prononcé lors de la fête du Trône, le roi du Maroc s'est dit « déterminé à donner une nouvelle impulsion aux relations avec les pays voisins du Maroc, notamment avec l'Algérie sœur ».