Souvent victime d'une altération identitaire, Sidi Belloua qui veille sur la plaine de Tizi Ouzou reprend sa place après sa destruction par les forces spéciales françaises en 1957. Un lieu rare pour son calme, il va devoir accepter la fatalité du béton. Le nom du Saint Patron de Tizi Ouzou renvoie assez souvent à l'analogie phonétique de Benoît. La légende urbaine considère que l'emplacement initial du mausolée de Sidi Belloua aurait accueilli la sépulture de Saint Benoît, patriarche fondateur de la règle monastique qui porte son nom. Considéré tardivement comme «le père de l'Eglise occidentale», il a vécu à l'époque du déclin de Rome et l'arrivée des Vandales en Afrique du Nord. Contemporain de Saint Augustin, il est né en 490 et n'a jamais fait le voyage dans nos contrées. Il est le seul Saint Benoît, excepté les Papes du même nom. Il repose à Monté Cassino, en Italie, et non en Kabylie. On rattache parfois le nom de Sidi Belloua à l'expression «Le Valois». Il est vrai que la prononciation courante se décline en Sidi Welwa. Or, le toponyme de Le Valois, qui désigne plaines et vallons n'est pas concevable pour un site géographique montagneux, tel ce sanctuaire kabyle qui trône à plus de 600 m d'altitude. Sidi Belloua, le vénéré marabout, est natif de Ighzer Taourirt. C'est le fils de Sidi Mohamed Ben Athmane et petit-fils de cheikh Sidi Athmane, venu du sud marocain au Djurdjura avec trois fils. Belloua est sans doute le plus prestigieux descendant de la lignée des Aïth Bouathmane, en raison du rayonnement spirituel de sa zaouia éponyme fondée en 1948. Un lieu, une histoire Victime de la guerre, l'institution est dynamitée, en 1957, par des éléments du Commando des renseignements et interventions en Kabylie (CRIK), rattaché à la DGSE et au 11e bataillon de choc basé en Corse, c'était le bras armé du ministère français de l'Intérieur pour les opérations spéciales. Après sa destruction, le site, considéré comme stratégique, sera occupé par le 137e régiment d'infanterie, qui implantera une unité d'action psychologique. La zaouia ne se relèvera de ses ruines qu'en 1985, lors d'une restauration, mais peu regardante sur le choix des matériaux. La lecture de la généalogie des Athmane renseigne que le nom «Belloua» est une prononciation dialectale du classique «Abou illoua», identité rarissime qui définit la fonction de porte-étendard, l'équivalent de sandjak en turc. Depuis saguia El hamra La traduction d'un ancien manuscrit, affiché à l'entrée de la tombe, retrace la trajectoire de Sidi Athmane, grand- père de Sidi Belloua… Il avait quitté Marrakech depuis Seguia El Hamra et Oued Edhahab au IXe siècle. Il voulait se rendre à Baghdad pour se recueillir sur la tombe du saint Abdelkader El Djilani en compagnie de ses trois fils. Sur sa route, alors qu'il était dans le Djurdjura, la mort le faucha à l'endroit même où il fut accueilli dans le arch des Beni Bouakache. Ce pèlerinage à Sidi Abdelkader El Djilani indique, sans aucune équivoque, l'obédience soufie de Sidi Athmane. Le père de Sidi Belloua, Mohamed Ben Athmane a fait souche dans la communauté de Ighzer Taourirt. Sidi Belloua exercera, pendant toute sa vie, la fonction d'imam auprès du arch Redjaouna. Il avait trois frères : Seddik, Tayeb et El Hadi.. Ses deux oncles, Belkacem et Ahmed, s' installent respectivement chez les Aïth Djaâd et les Aïth Irathen sur les deux versants du Djurdjura. Sidi Belloua veille sur un cimetière ombragé de nombreux figuiers et oliviers. L'émotion qui se dégage de ce lieu féerique explique l'attrait des nombreux visiteurs du jeudi qui viennent «faire le vide». Calme et «désordre» Cette douceur dans le règne du calme contraste avec le désordre urbain et l'avancée des pelleteuses qui escaladent les piémonts pour gagner de l'espace à même la roche. Sidi Belloua, en sursis dans sa quiétude séculaire risque un redoutable enserrement dans une future Casbah. Et pour cause ! La Kabylie détient le record mondial de la plus forte concentration humaine en zone montagneuse.