Cette semaine, les pouvoirs publics viennent comme de sortir promptement d'une profonde léthargie. Opération spectaculaire et inattendue s'il en est, voilà que le nouveau gouvernement repasse à l'action de déloger les étals des très nombreux marchés informels qui ont poussé comme des champignons à travers les villes et villages d'Algérie. Cette fois pourtant le risque d'une telle entreprise semble avoir été bien calculé et le geste parfaitement maîtrisé. Puisque le déménagement de toute cette population de jeunes et de moins jeunes, d'ailleurs qui ont fait de ce commerce «sauvage» une activité qui les occupe et leur assure un gagne-pain, s'est opéré bizarrement sans grands heurts. On peut dire ainsi que les pouvoirs publics ont passé victorieusement l'obstacle de la peur des réactions violentes de la rue. Le risque d'une explosion populaire, comme lors du Printemps arabe ou des émeutes éclair du 5 janvier 2011 dans la capitale ainsi que dans certaines villes du pays, semble de ce fait faire partie du passé. Le pouvoir, opportuniste par nature, reprend donc ce qu'il a concédé à la rue durant les «moments chauds». Jusqu'ici rien d'anormal. Et l'Etat peut bien se targuer de jouer effectivement son rôle. Sauf que… Les choses auraient bien pu paraître, en effet, aussi parfaitement ordonnées et les actions tout autant saluées et méritoires, si dans le même temps on avait assumé jusqu'au bout cette bonne logique, ce même principe, ce devoir même où la loi devrait être la règle partout. Et pourquoi pas ! Pourquoi diantre ne faut-il pas que ce qui est valable ici le soit tout autant là dès lors que le phénomène est le même ici comme là et qu'il est censé être soumis à la même autorité ! L'informel ? Parlons-en. Mais d'abord, qu'en est-il de l'immense marché noir de la devise qui irrigue des pans entiers de notre économie. Rien qu'à Alger, au square Port-Saïd, au nez et à la barbe de la Banque d'Algérie, l'autorité monétaire du pays, des quantités incalculables de billets verts et d'euros sont échangés quotidiennement sans que les autorités, pourtant assez promptes à éradiquer les petits commerçants du coin, s'en émeuvent. Comment peut-on continuer à fonctionner avec des demi-vérités et n'entreprendre les choses qu'à moitié sans s'exposer au risque de voir sa crédibilité entamée. N'est-il pas vrai que si l'on veut vraiment éliminer le secteur informel, il faille d'abord et surtout assécher les sources de son financement, à savoir toute la devise qui échappe au circuit bancaire ? On voit mal d'ailleurs comment la Banque d'Algérie pourrait faire correctement son travail d'autorité monétaire pour une politique de changes efficace (une politique économique) dès lors que cette masse de monnaies étrangères lui est totalement étrangère. Donc pour ce qui est de l'informel, on attendra longtemps avant de voir le gouvernement de Bouteflika prendre le taureau par les cornes. Longtemps ?! A-t-on seulement pensé un instant à évaluer l'impact de ce marché informel de la devise sur l'économie du pays ? Aucune étude sérieuse n'est connue du public. Ainsi ne reste que le sens politique à cette action que les pouvoirs publics apparentent à une opération d'assainissement de l'économie : il s'agit de reprendre en main la situation comme avant les émeutes de janvier 2011. Le spectre de la colère populaire apparemment écarté, le pouvoir peut retourner à l'ouvrage de restructuration du régime.