Tout au long de l'histoire, des hommes, des femmes ont refusé d'exécuter des ordres criminels et décidé, au risque d'être exécutés, de vivre debout, face à des pouvoirs qui, aujourd'hui comme hier, ne supportent pas les citoyens rebelles et n'apprécient que ceux qui s'aplatissent et lèchent peureusement leurs bottes, leurs mocassins ou leurs babouches. Des «rebelles», quel que soit le pays, l'école n'en parle quasiment jamais, surtout quand il s'agit de soldats, et les cours d'histoire, le plus souvent, ne sont que matraquage idéologique et exaltation nationaliste. Combien de lycéens, en France, savent par exemple que pendant la Première guerre mondiale, 2400 soldats ont été condamnés à mort pour refus d'obéissance et 600 exécutés pour l'exemple, qu'en Italie 750 ont été passés par les armes et 306 en Angleterre ? La paix revenue, la plupart ont été réhabilités, mais tard, très tard, quand cette réhabilitation avait toutes les chances de passer inaperçue : c'est en 1930/1933 que les Français fusillés ont été blanchis et en 2006 seulement - 88 ans après la fin de la guerre – les Anglais. Tout aussi tardivement ont été réhabilités les soldats allemands – près de 300 000 – qui, pendant la Seconde guerre mondiale, ont déserté la Wehrmacht et dont 21 000, sur les 50 000 condamnés à mort, ont été exécutés(1). Considérés comme des «asociaux», des «lâches» ou des «psychopathes», y compris cinquante ans après la fin de la guerre, quand les mêmes juges militaires qui les avaient condamnés sous le régime nazi définissaient toujours la désertion comme un crime, ils ne commencèrent à être réhabilités qu'à partir de 1997. Les jeunes Français qui, pendant la guerre d'Algérie, ont déserté ou se sont insoumis ont eu plus de chance, en un sens, que leurs camarades allemands : en 1967, une loi d'amnistie les a innocentés. Mais en même temps, elle les a gommés de l'histoire et d'autant plus qu'il est interdit de mentionner un acte amnistié. Ce qui peut être positif, lorsqu'il s'agit d'un délit dénué de toute portée idéologique, mais ne l'est plus du tout lorsque ces refus, revendiqués par leurs auteurs (articles, livres, interviews), se sont voulus exemplaires. L'amnistie les efface et les cours d'histoire les ignorent. S'ils n'existent pas pour le pouvoir, si aucun homme politique français, y compris de gauche, n'a jamais eu l'idée de présenter comme juste(2) un Noel Favrelière qui sauva un moudjahid sur le point d'être largué d'un hélicoptère et s'enfuit avec lui en Tunisie, il se trouve des historiens que ces nouveaux justes ont intéressés. Tel Tramor Quemeneur, qui leur a consacré en 2007 une thèse de doctorat de 1296 pages(3). Les chiffres qu'il donne sont – relativement – réconfortants : près de 15 000 jeunes Français – déserteurs, insoumis, objecteurs de conscience – ont refusé de tirer sur un peuple qui se battait pour sa liberté. Sans oublier d'importants mouvements de contestation dès 1955 – manifestations dans les gares, blocages des trains, révolte dans une caserne, à Rouen, révolte des rappelés à Mourmelon, à Clermont-Ferrand. Sans oublier non plus Henri Maillot, qui déserta en 1956 avec un camion d'armes, le Manifeste des 121 sur l'insoumission et la désertion, les militants du réseau Jeanson, qui transportèrent armes et argent pour le FLN, et bien d'autres, tels l'ouvrier Louis Orhant, le séminariste Jacques Berthelet, le sous-lieutenant Jean Le Meur, rapatrié de force en France pour avoir refusé de torturé, et soumis à la torture d'une douche brûlante sur le bateau qui le ramenait. Tous ces refus donnent une autre image des peuples, trop souvent perçus comme des masses manipulables et soumises, quand régulièrement se dressent des hommes, des femmes qui disent non à la barbarie et tiennent tête aux pouvoirs assassins qui les envoie au combat pour la seule défense de leurs seuls intérêts. Il appartient aux progressistes de tous les pays d'entretenir leur mémoire, de les faire connaître d'abord et de les donner en exemple. Si beaucoup plus de jeunes Européens, de jeunes Maghrébins connaissaient leur existence et savaient qu'en tout temps, en tous lieux, des hommes ont refusé d'exécuter des ordres criminels, peut-être que le devenir de leur pays prendrait un autre cours, plus digne et plus humain.
Renvois -1) Cf. l'article de l'historien Frédéric Stroh, «Au déserteur inconnu», à consulter sur internet. -2) Le terme «justes» désigne les Français qui, pendant la Seconde guerre mondiale, ont sauvé des enfants juifs d'une arrestation par la Gestapo. -3) Cf. sur internet «Ils ont dit non à la guerre sans nom», par Tramor Quemeneur.