Ouvert en début 2002, le dossier Khalifa figure parmi les plus importants que la justice algérienne ait eu à ouvrir. Important non seulement pour le nombre de personnes auditionnées, plus de 4000, par ses ramifications vers l'étranger, France, Liban, Emirats arabes unis et Grande-Bretagne, mais aussi par les sommes colossales détournées. Au moins quatre plaintes ont été enregistrées au tribunal de Chéraga, dépendant de la cour de Blida, relatives à Khalifa Airways, la station de dessalement d'eau de mer, les transferts (par swift) de devises vers des comptes privés à l'étranger et Khalifa Construction. A ces dossiers se sont ajoutés d'autres, relatifs à l'achat d'actions de la Société Générale par Abdelmoumen, Khalifa TV et Khalifa Rent. Le magistrat instructeur a inculpé plus d'une soixantaine de personnes, dont plus d'une dizaine placées sous mandat de dépôt, lancé cinq mandats d'arrêt internationaux et délivré une commission rogatoire à la gendarmerie nationale pour activer l'instruction sur des questions précises. Ce qui n'a pas pour autant permis à l'enquête de prendre fin, puisque ce sont les délais liés à la détention provisoire qui pousseront la cour de Blida à tenir le procès vers la fin avril 2006. Dans une déclaration à la presse, le procureur général de cette juridiction l'avait expliqué, arguant du fait qu'au-delà de cette date, la loi ne permet plus de les garder en détention. Le tribunal de Chéraga a connu ces derniers mois une effervescence particulière. Chaque jour, des personnes sont convoquées par le juge, appuyé depuis le début de l'année par un autre magistrat et deux experts de la finance. Le volet le plus important, ce sont les placements des fonds publics dans les caisses d'El Khalifa Bank. Selon une source judiciaire, une somme de 105 milliards de dinars aurait été confiée à la banque privée par, surtout, les caisses de la sécurité sociale (43 milliards de dinars), l'OPGI, l'EPLF, les mutuelles et la BDL. Dans le monde sportif, au moins deux cents personnes ont été entendues en tant que témoins par la gendarmerie pour s'expliquer sur les 100 milliards de dinars que Abdelmoumen Khalifa a versé au Comité olympique algérien (COA), aux ligues, fédérations et clubs de football, notamment ceux de la première division, ainsi qu'à leurs dirigeants et certains sportifs sous le couvert du sponsoring pendant plus de deux ans. Sidi saïd entendu Certaines dépenses auraient été justifiées alors que d'autres, aucune trace documentaire n'aurait été retrouvée, a-t-on noté. Par ailleurs, le magistrat instructeur a entendu une dizaine de cadres des services des douanes, dont certains ont été inculpés dans le cadre de l'affaire dite de l'importation des deux stations de dessalement d'eau de mer et pour lesquelles une somme de 67 millions d'euros aurait été transférée par Abdelmoumen Khalifa. Ces deux unités se sont avérées par la suite de véritables épaves destinées à la casse. Il y a une dizaine de jours seulement, le même magistrat a entendu le fils d'un général à la retraite, avant de l'inculper et de le placer sous contrôle judiciaire. Il a également entendu de nombreux responsables de la centrale syndicale UGTA, dont le secrétaire général, dans le cadre du dossier des placements des fonds des caisses de la sécurité sociale, au titre de leur statut de membres du conseil d'administration de ces dernières, et des mutuelles. Plusieurs ont été inculpés puis placés sous contrôle judiciaire. Pour beaucoup, le traitement de ces dossiers reste sélectif, dans la mesure où de nombreuses personnalités influentes du régime, ayant été bien servies par le patron de Khalifa, n'ont à ce jour pas été convoquées par la justice. Une accusation que des sources judiciaires récusent en jetant la balle vers le liquidateur. « Nous dépendons entièrement des informations que nous livre le liquidateur. Nos enquêtes sont liées à cette base de données. Nous avons nos sources et nos commissions rogatoires, mais la confrontation se fait toujours avec les informations détenues par le liquidateur », ont-elles affirmé. Une réponse plausible si l'on se réfère à la rémunération accordée au liquidateur mensuellement (plus de 400 000 DA) et surtout au poids des interventions et des interférences. Les premiers blocages s'opèrent à ce niveau, a expliqué notre source, et il n'est pas exclu que des noms soient dissimulés. En tout état de cause, cette instruction a trop duré, au point où de nombreux observateurs ne croient plus à un éventuel procès, de peur d'éclabousser tout le système. Ces mêmes observateurs pensent que les autorités ne sont pas pressées de voir Abdelmoumen Khalifa extradé vers l'Algérie pour éviter qu'il n'éclaire la lanterne des Algériens sur les dessous de ce scandale. Néanmoins, dans cette affaire, il y a des personnes qui croupissent en prison et, rien que pour cette raison, il est du devoir de la justice d'aller vers un procès ou de les placer en liberté provisoire.