A la rentrée, l'armée attire de nombreux jeunes à la recherche d'un emploi. Mais ceux qui ont un diplôme universitaire sont de plus en plus réticents à passer 18 mois de leur vie dans une caserne. Entre falsification de dossiers et silence face aux convocations, ils usent de tous les moyens pour échapper à ce qui freinerait leur carrière professionnelle. «Je n'ai pas envie d'aller m'emmerder toute la journée à un barrage.» Redha*, 26 ans est catégorique, il n'ira pas faire son service national. Titulaire d'une licence dans le domaine informatique, il travaille dans une entreprise privée et effectue quelques missions en freelance. Les jeunes diplômés algériens comme Rédha qui refusent de travailler 18 mois pour l'armée sont nombreux. Impossible de savoir combien ils sont. Certains sont en règle vis-à-vis de l'administration, mais la plupart risquent le tribunal militaire. Abdenour a 26 ans et il vit dans l'ouest du pays. Il reçoit sa première convocation alors qu'il est encore à l'université. Il montre ses bulletins d'inscription, et l'armée ne donne plus signe de vie. «Un jour de 2008, les gendarmes sont venus chez moi apporter la convocation. Je venais de terminer ma licence. Mais j'avais trouvé un travail. Je ne voulais pas perdre ma place. Alors je n'ai pas répondu», raconte le jeune homme. Aux yeux de l'administration, il devient alors un «insoumis». «Le service militaire d'aujourd'hui ne sert à rien. Mon père a fait son service militaire. A l'époque, c'était primordial pour la formation», explique Abdenour. La plupart de ces jeunes n'ont rien de militants pacifistes. Leurs pères ont fait le service militaire. Et souvent, les parents s'inquiètent de leur décision de ne pas se présenter au bureau de recrutement. «Mes parents étaient très préoccupés. On ne fait pas de cadeau à un ‘‘insoumis''. Généralement, on finit par les envoyer dans le sud du pays en mission, là où la situation est dangereuse», confie Abdenour. Pourtant les parents sont souvent solidaires. Convocation Ahmed, 25 ans, est petit-fils d'un général. «Quand j'ai dit à mon père et à mon grand-père que je ne répondrai pas à la convocation, ils ont juste hoché la tête. Ils comprennent», explique-t-il. Ahmed «a réussi». Il est jeune, mais travaille et gagne un bon salaire. Il est persuadé qu'il n'aurait jamais eu cette situation sociale en passant 18 mois dans une caserne. A l'heure où le chômage des jeunes explose, ceux qui ont un diplôme universitaire considèrent le service national comme un handicap. Bachir a un très bon poste dans la finance. Ce jeune Algérois a même montré sa convocation à son employeur. Ils essayent de trouver une solution ensemble. «Si je quitte ce poste, il me faudra au moins cinq ans pour le retrouver. Et vous imaginez tout l'argent perdu ? Ce n'est pas le salaire de l'armée qui va suffire», s'emporte-t-il. Tous travaillent dans le secteur privé. Ils n'ont pas besoin de la carte militaire. «Lorsque la convocation est arrivée, je me suis demandé si je voulais, un jour, faire une carrière dans l'armée ou dans la fonction publique. Quand j'ai compris que ça ne m'intéressais pas, j'ai assumé», raconte Farouk, 22 ans. Pour s'affranchir du service national, à chacun son stratagème. Farouk avait de légers problèmes de santé, il a aggravé son dossier médical. «Mes parents travaillent dans le secteur de la santé et ils ont fait en sorte que mon cas ait l'air très grave. Lors de la visite médicale, le médecin n'avait pas le temps de s'attarder sur tous les détails. Il m'a déclaré inapte.» Même procédé pour Rédha, mais ça n'a pas fonctionné. Illégalité «J'ai amplifié la gravité de mon asthme. Le médecin m'a demandé quel traitement je prenais et j'ai donné le nom d'un médicament qui n'était plus importé depuis trois ans. Il m'a déclaré apte», raconte-t-il en souriant. Peu importe, Redha tente alors le dossier de «soutien de famille» : «Il fallait modifier quelques vérités, parce que mes deux parents travaillent. J'ai déposé le dossier il y a plus d'un an. J'attends.» Bachir aussi est dans l'attente. «Pendant plusieurs années, alors que je travaillais, je payais des inscriptions dans des écoles privées pour repousser la convocation. Mais cette année, je ne voulais plus jeter de l'argent par les fenêtres», raconte-t-il. La convocation arrive, il tente d'aller au bureau de recrutement pour expliquer son cas. «On m'a dit : toi, on ne te lâchera pas», soupire-t-il. Aujourd'hui, il n'a pas de nouvelles. Ahmed, Rédha et Abdenour non plus. Comme si l'armée les avait oublié. «Je n'y pense pas tout le temps, mais c'est désagréable d'imaginer qu'un jour, ils vont venir pour m'envoyer à l'autre bout du pays, alors que je consolide ma vie professionnelle», admet Abdenour. Salim, 32 ans, a choisi une autre solution: se faire renvoyer de la caserne. «Je ne voulais pas être dans l'illégalité», explique-t-il. Originaire de Kabylie, il se renseigne pour connaître les spécificités de chaque caserne. Combines «Je suis diplômé de physique. J'ai fait en sorte qu'on m'envoie dans une caserne de réparation de véhicules militaires.» Il se présente, mais la caserne est surpeuplée. Ses compétences sont inutiles, il n'y connaît rien en mécanique. Au bout de dix jours, il est renvoyé chez lui. Salim possède une carte militaire et a même travaillé comme fonctionnaire pendant plusieurs années. Officiellement, l'armée algérienne n'est pas au courant de ces petites «combines», mais un responsable admet qu'il y a un point faible : la communication. «Il faut qu'on travaille à donner une meilleure image du service national. Ce n'est pas ce que les jeunes imaginent. La nourriture est bonne, et ceux qui ont un diplôme deviennent rapidement instructeurs», explique un membre du service de communication. L'objectif ? Faire en sorte que le service national soit perçu comme très avantageux. «Comme en France», lâche ce responsable. Bien que l'armée pense à aménager le service militaire, pour le rendre moins contraignant aux yeux des jeunes, il n'est pour le moment pas question de le supprimer. «Le service national est indispensable pour l'Etat, explique le responsable. On y apprend la discipline, le travail de groupe et le patriotisme. Pour un médecin, cela équivaut à faire de l'humanitaire, les jeunes devraient être fiers !» n *Tous les prénoms ont été modifiés