La France a un problème avec ses musulmans, mais ce n'est pas celui qu'elle croit. L'embrasement des banlieues d'octobre-novembre 2005 ainsi que la vague d'arrestations dans les milieux jihadistes ont ramené l'Islam au centre des préoccupations françaises et ont donné du souffle à ceux qui brandissent la menace d'un monde musulman s'organisant à partir de l'islamisme politique. Pourtant, c'est tout le contraire : paradoxalement, c'est l'essoufflement de l'islamisme politique plus que sa radicalisation qui explique les violences à prédominance musulmane et c'est la dépolitisation des jeunes musulmans bien plus que leur prétendue re-communautarisation sur des bases radicales qui devrait inquiéter. » C'est la conclusion de l'enquête menée pendant plusieurs mois par l'International Crisis Group, installé à Bruxelles. L'étude « La France face à ses musulmans : émeutes, jihadisme et dépolitisation » a été dirigée par Robert Malley, ancien conseiller spécial du président Bill Clinton pour le conflit israélo-palestinien, et par le chercheur suisse Patrick Haenni, spécialiste de l'islam. Selon Patrick Haenni, les émeutes d'octobre dernier montrent que « plus que par la tentation jihadiste, c'est par la révolte que s'exprime la revendication politique lorsque les encadrements citoyens font défaut. L'embrasement des banlieues d'octobre et novembre 2005 s'est fait sans acteurs religieux et a confirmé que les islamistes ne tiennent pas ces quartiers ». Ce que confirment les islamistes eux-mêmes, Tariq Ramadan en tête. Les jeunes banlieusards sont sourds aux discours des organisations et intellectuels islamistes. « Nous sommes tous déconnectés. Les organisations islamiques, comme moi-même et mes discours, n'atteignent pas les banlieues et leurs populations déclassées. Il y a une rupture claire et personne ne peut prétendre représenter les populations des banlieues », reconnaît Tariq Ramadan. « Désormais, l'offre d'Islam dans les quartiers se réduit plus ou moins à une rivalité entre deux mouvements missionnaires, le tabligh recrutant toujours activement mais peinant à ‘‘fixer'' ses adeptes, et le salafisme qui le concurrence toujours plus vivement dès la fin des années 1990, et, à la marge, le militantisme des réseaux jihadistes mobilisant à partir d'un discours anti-impérialiste ‘‘islamisé'' et dopé par les questions palestinienne et irakienne sur le plan international et par les discriminations en France », notent les auteurs du rapport. Ils précisent : « Contrairement au tabligh et aux mouvements appartenant au courant de l'islamisme politique, le salafisme n'a ni structures, ni prédicateurs nationaux et ne s'inscrit pas dans une stratégie communautariste. L'encadrement des quartiers l'intéresse peu et se limite à quelques crèches, régulièrement fermées par les autorités. Le repli du salafisme se fait donc moins sur la communauté que sur l'individu, au mieux sur la bande, repensée comme un réseau de ‘‘purs'' structuré autour de la mosquée de quartier et de la boucherie halal, du snack ou de la boutique de téléphonie tenue par les Frères salafistes. » Islamisme et communautarisme français Pour les auteurs, « contrairement aux idées reçues, c'est l'essoufflement de l'islamisme politique bien plus que sa radicalisation qui explique les violences émeutières et jihadistes ». Le communautarisme n'est pas là où on l'attend. « Si le communautarisme arabe de l'aile malgré le processus de réislamisation, le communautarisme français, lui, est porté par les autorités en dépit du dogme républicain. » Les auteurs, qui citent le sociologue Emmanuel Todd, notent que près d'une Algérienne sur trois contracte un mariage mixte, ce qui vient à battre en brèche le supposé repli communautaire. « Afin de minimiser les risques de l'émeute et du militantisme jihadiste, il faudrait à la fois s'attaquer aux problèmes socio-économiques dont souffrent les cités, réduire les violences qui s'exercent contre elles, et favoriser la participation politique de ceux qui y résident », préconisent les auteurs du rapport. Dans ses recommandations au gouvernement français, l'Institut demande la diminution de la présence coercitive de l'Etat dans les banlieues en « insistant sur la formation de la police, y compris par l'application de sanctions fortes à l'égard des abus de pouvoir ». Et pour réduire la discrimination sociale, il recommande de revoir l'allocation de logement social en veillant au brassage ethnique et de mener des campagnes vigoureuses et constantes contre la discrimination raciale et ethnique.