C'est un fait : les ghettos de Paris se soulèvent. Et pour cause. Les beurs deuxième et troisième générations n'entendent pas se laisser faire : ils revendiquent haut et fort leur part de bonheur républicain en criant basta face à l'exclusion et au racisme ordinaire. Pendant ce temps, le premier flic de l'Hexagone continue à privilégier un traitement “CRS” du sujet. Eclairage. Lionel Jospin le faisait observer avec acuité, mardi soir, sur France 3, dans l'émission “Culture et Dépendances” où il était venu défendre son livre Le Monde comme je le vois, sorti dernièrement chez Gallimard. L'ancien Premier ministre soulignait le traitement “colonial” — nous ajouterions “colonialisant” — infligé à la question de l'immigration. Voilà un point de vue qui explique beaucoup de choses : le climat de “guérilla” urbaine qui embrase depuis maintenant dix bons jours les banlieues parisiennes serait peut-être à inscrire, en effet, dans une dynamique inédite, en l'occurrence un soulèvement communautaire généralisé en réaction à une politique d'exclusion qui dure depuis la France coloniale, et toutes les tares et les avatars qu'elle a engendrés. Organisée ou pas, cette “révolte des ghettos” délivre en tout cas un message fort : les cités ne sont pas “que” le pays des “zonards”. Les banlieues sont le mal systémique de la France institutionnelle. Un pur produit de la politique coloniale et post-coloniale de la France. Longtemps tenue pour être le réservoir principal et primordial de la délinquance, un discours cher à Le Pen aujourd'hui largement repris par bien d'autres composantes du spectre politique français à travers le sacro-saint thème de la sécurité, l'immigration traînerait le mal “rabique” comme une maladie infantile aux yeux de franges entières de la France dite d'en bas. Une France d'en bas à double fond dans les sous-sols desquels se découvrent des populations entières ghettoïsées en sous-peuple et servant de chair à canon à des opérations de police frisant par endroits le nettoyage ethnique (voir chapitre des expulsions des squats et autres opérations coups-de-poing contre l'immigration clandestine). Depuis l'entrée en lice du terrorisme international d'obédience islamiste dans le débat, les choses ont gagné encore davantage en complication. Pour le Français Lambda, l'Arabe, le musulman, est désormais un vecteur “génétique” de violence ; le virus des sociétés occidentales par excellence. L'intégration par les CRS Tous les observateurs le disent depuis les évènements de Clichy-sous-Bois : l'embrasement des banlieues n'est que le résultat de l'échec cuisant de toutes les politiques engagées à droite comme à gauche sur la question de l'immigration. Les jeunes ne veulent plus endurer ce qu'ont subi leurs pères et leurs grands-pères. Ils ne veulent pas subir l'enfer que décrit brillamment Azouz Begag dans un roman poignant (devenu film) Le Gone du Chaâba (Le Seuil, 1986). La misère des bidonvilles, la grisaille des usines ou encore l'humiliation dans les préfectures, à tout cela ils disent basta ! Ils ne veulent plus se concevoir en sous-Français mais en Français à part entière, avec les mêmes droits que les “Hexagonaux” de souche. Qu'est-ce qu'ils ont en face ? Des compagnies de CRS et autres escadrons des brigades anti-émeutes prêts à en découdre au premier signal de la place Beauvau. Voilà. On n'est pas sorti de l'auberge. Pas sorti du traitement policier musclé, “flicailleux” du problème, avec un maître chanteur comme maître d'œuvre : Nicolas Sarkozy (lui-même issu d'une famille d'immigrés hongrois). Pour lui, les cités sont des territoires ingérables, terreau de tous les maux de la France, et il faut y nettoyer la “racaille” au Kärcher. Tout un programme. Il n'en faudra pas plus aux “voyous” d'en face pour relancer les barricades et clouer le bec au premier flic du pays d'une salve de cocktails Molotov. Manifestement, l'exercice est loin d'être une promenade de santé pour les CRS. Faudra compter désormais avec une nouvelle pousse de “rebeus” qui n'entendent point se faire intimider, encore moins leurrer par les “quotas ethniques” dans les sitcoms et autres trouvailles du CSA. Leurs pères, immigrés “indigènes” et “indigénisés” de la première génération se taisaient, se laissaient faire, se farcissant tous les sots métiers en fermant leur gueule. Pas question que cela continue, rétorquent leurs enfants et les enfants de leurs enfants en brandissant le poing, eux qui sont nés en France, qui ont ouvert les yeux directement dans les ghettos, qui ont vu le confort les bouder, le chômage les draguer, la misère les enrôler, le racisme ordinaire les insulter. À dix minutes de Paris par métro et le décor de changer du tout au tout. Et c'est l'extinction des lumières avant l'entrée dans un no man's land de détresse sociale et de désolation, un décor aux couleurs d'une immense cour des miracles. Aux Etats-Unis, les dégâts de Katrina avaient mis à nu les différences qui persistent scandaleusement aujourd'hui encore entre les Noirs et les Blancs. Dans l'Hexagone, les Noirs, les Arabes, les Maghrébins restent, il faut bien le dire, le souffre-douleur “génétique” de la France petite-bourgeoise et bien-pensante d'en haut. Une fracture indélébile On vous le disait : l'immigration n'est qu'un déplacement sémantique de la problématique coloniale. La France, la société française, multiraciale depuis plusieurs décennies, ont-elles réellement conjuré la peur de l'autre ? La France profonde s'est-elle réellement débarrassée de toutes les scories, de tous les stigmates de la praxis coloniale ? Par moments, on en vient légitimement à en douter. “La guerre des banlieues” ne fait que le confirmer : la société française vit une réelle fracture entre ses différentes communautés, et ses valeurs principielles n'y peuvent rien. Les schismes, les antagonismes ne font que se creuser, et à défaut d'une approche originale, volontariste, révolutionnaire de l'immigration, il est à craindre que le seul interlocuteur des banlieues demeurera ce bulldozer nommé Sarkozy. Mais à bien y regarder, Nicolas Sarkozy n'est que le “bras armé” d'un système fondamentalement frileux. Effarouché. Comment s'étonner, dès lors, de voir triompher les politiques protectionnistes et autres rhétoriques du style “tolérance zéro” menées par un Sarko plus cassant que jamais, “[braconnant] sur les terres de l'extrême droite” comme disait de lui Arnaud Montebourg du NPS (Nouveau parti socialiste), donnant lieu à une diabolisation tous azimuts des cités, au détriment d'un traitement plus humain, plus nuancé du sujet ? Le “sarkoffrage” : une drôle de prophylaxie… M. B.