Imraâ min waraq, de Sonia Mekiou et Mourad Senouci, a rappelé au public du Festival national du théâtre professionnel les douleurs d'un passé algérien pas très lointain… Moments d'émotion mardi après midi à la salle du Théâtre national Mahieddine Bachtarzi (TNA) lors de la présentation de la pièce Imraâ min waraq (Femme en papier) au septième Festival national du théâtre professionnel (FNTP). Mise en scène par Sonia Mekiou à partir d'un texte de Mourad Senouci, adaptée du roman de Waciny Laredj, Ountha Al Sarab (Femme mirage), la pièce a replongé les présents dans l'univers violent des années 1990. Certains spectateurs ont pleuré. «J'ai senti l'émotion du public, je n'ai pas pu résister moi-même», nous a confié Sonia après le spectacle retenant difficilement ses larmes. L'histoire racontée par la pièce est simple et dense à la fois. Un écrivain crée un personnage féminin, Mériem, qui l'accompagne pendant 25 ans dans ses écrits. La présence de «Mériem al hourouf» (Mériem des lettres) dans la vie du romancier finit par susciter les soupçons de son épouse, celle qui s'est établie en terre étrangère pour partager sa vie de bohême. Mériem est-elle réellement une femme en papier ? Sur scène, l'épouse de l'écrivain (Lydia Laârini), vêtue de noir, est plongée dans les pages éparpillées d'un livre ou de plusieurs livres. Elle a allumé un brasero pour en brûler quelques-unes comme pour oublier des souvenirs douloureux, des moments de mélancolie. Elle évoque le coma de son époux dans son exil parisien, le courage de sa fille Nada et remonte dans le temps, l'époque des premières retrouvailles avec l'écrivain, appelé «El oustad». Soudain, on frappe à la porte. Une femme, habillée en blanc, se présente. C'est Mériem (Raja Houari), la femme-mirage, la femme en papier. Mais là, elle parle à l'épouse du romancier, elle lui rappelle des faits passés, des petites histoires intimes. Du concret ! L'inquiétude de l'épouse augmente. «Comment peux-tu connaître tout cela ?», se demande-t-elle. «Je suis l'héroïne de tous ses livres. El oustad aime les secrets. Je suis un de ses secrets», réplique Mériem. Elle lui rappelle que l'écrivain a choisi ce prénom pour son héroïne en hommage aux femmes algériennes et à leur courage. L'épouse est dans tous ses états : «Je pensais que c'était une simple idée ce personnage !» La discussion se prolonge. Mériem parle de la rencontre de l'épouse avec le romancier en 1985 lors d'une pièce de Abdelkader Alloula. Alloula qui sera assassiné en mars 1994. La pièce, s'appuyant sur une image projetée en arrière-fond, évoque, à chaque passage, les noms qui ont marqué la vie culturelle nationale : M'hamed Issiakhem, Yacine et Mustapha Kateb (décédés le même jour, le 28 octobre 1989), Djamel-eddine Zaïter, assassiné devant la tombe de sa mère en 1994 à Gydel, dans la région d'Oran. Dans son adaptation, Mourad Senouci a rappelé l'enterrement oranais de Abdelkader Alloula, marqué par une forte présence. Sonia a choisi une photo montrant la foule criant sa colère et la Une d'Alger Républicain : «Le lion d'Oran est mort ». «Ils ont tué Garcia Lorca, décapité Bashar Ibnou Bord, mis en prison Nazim Hikmet et coupé les doigts de Victor Jara. Mais qu'ont-ils fait ? Rien ! La plupart des héritiers du sang meurent de maladies. Leur tyrannie ne les a pas sauvés ! La plupart d'entre eux ont été tués par leurs propres amis, décédés dans l'isolement ou en exil. Qui se rappelle du bourreau de Ahmed Zabana ou du fasciste qui a tué Azzeddine Medjoubi ?», lance une voix off à la fin de la pièce. Blanc/noir, noir/blanc, les couleurs de la pièce suggèrent cette idée de réalité/imagination. Sonia n'a pas oublié d'introduire une certaine poésie au spectacle, appuyé par la scénographie de Yahia Benamar faisant appel à la lumière et à l'ombre. Des feuilles blanches sont accrochées comme dans un arbre aux mille souvenirs et dansent au rythme d'un vent invisible. «Ce n'est pas parce qu'on évoque des choses graves et terribles qu'on ne peut pas le faire dans un cadre esthétique. J'ai laissé le doute. Au spectateur de savoir si Mériem est réelle ou pas», a expliqué Sonia après la représentation, assaillie par les journalistes. La dramaturgie conçue par le metteur en scène a fait oublier au public cet aspect. Lydia Laârini et Raja Houari ont joué leur rôle avec sincérité et ont donné à la pièce toute la valeur et l'émotion qu'elle exigeait. «J'aime bien travailler avec Lydia Laârini. C'est une comédienne engagée, très pointilleuse dans son travail, chargée d'émotion», a confié Sonia, qui a repéré Raja Houari lors d'un spectacle pour enfants. «J'ai voulu prendre des risques avec elle. Et j'ai eu raison, je crois (…). Je travaille avec Mourad Senouci sur ce projet depuis deux ans. Ce qui m'a interpellée dans le texte, c'est qu'il revient sur notre histoire récente, les années terribles que nous avons vécues. Nous n'avons pas le droit d'oublier. Si on oublie, on risque de recommencer. Il était important de rendre hommage à nos amis disparus et au peuple resté debout pendant ces années. C'est une pièce que j'ai montée avec le cœur, pas avec la tête», a souligné Sonia. Lydia Laârini a, pour sa part, confié avoir aimé son rôle. «Tellement aimé parce que cela évoque l'Algérie, la décennie noire, les créateurs et artistes morts. J'apprécie bien le travail théâtral qui m'oblige à faire des recherches», a-t-elle dit. Sur scène, Lydia Laârini n'a pas maîtrisé ses larmes, pleurant lors de l'évocation des funérailles de Abdelkader Alloula. Elle a transmis sa douleur et sa tristesse au nombreux public présent. Sonia, qui est actuellement directrice du Théâtre régional de Annaba, évoque Abdelkader Alloula. «Il était un repère pour moi. De son vivant, je n'ai jamais fait un travail sans avoir son avis. Dommage que les jeunes ne connaissent pas Alloula. Cet homme était exceptionnel de générosité, de sincérité et d'engagement et d'amour de son pays», a-t-elle souligné.