Le directeur de la législation fiscale au ministère des Finances a estimé que les autorités ne disposaient pas d'«une échelle d'évaluation exacte de ce qui serait une grosse fortune». Les fortunes dont l'origine douteuse et échappant à toute forme de contrôle et d'imposition suscitent encore une fois le débat. Jeudi, c'était au tour des parlementaires de relancer la controverse au cours d'une journée de formation à l'élaboration des lois de finances ayant permis la présence d'un panel de représentants du ministère des Finances au siège de l'Assemblée. Une occasion pour le député FLN d'Alger, Wahid Bouabdellah, de les interpeller sur l'inexistence de l'impôt sur les fortunes dans le sens le plus large du terme. Celui-ci a estimé au cours de son intervention que tous s'accordent à dire que de grosses fortunes s'accumulent actuellement sans que celles-ci soient soumises à un impôt sur les fortunes. Un fait qui peut être révoltant dans la mesure où ce sont ceux qui gagnent le plus qui contribuent le moins aux recouvrements fiscaux ordinaires. Ce à quoi le directeur de la législation fiscale au ministère des Finances, Mustapha Zikara, a rétorqué en affirmant que les autorités ne disposaient pas «d'une échelle d'évaluation exacte de ce qui serait une grosse fortune», en plus du fait qu'il était «très difficile, voire impossible d'appliquer une telle proposition sur le terrain en raison du caractère souvent informel ou dissimulé du patrimoine immobilier en Algérie». Au-delà du fait que les propos du responsable du département des Finances reflètent une vision tronquée de la fortune, ils sonnent comme une abdication face à la généralisation de l'informel qui gangrène tous les pans de l'économie. Vision tronquée, car les services du département de Karim Djoudi semblent limiter l'évaluation de la fortune aux acquisitions immobilières. Ce qui transparaît d'ailleurs dans les propos de M. Zikara qui pointe le caractère dissimulé du patrimoine immobilier. Aussi, et à défaut d'impôt sur la fortune, le code des impôts directs prévoit un impôt sur le patrimoine (ISP), en plus de l'impôt sur le revenu global issu des plus-values de cessions mobilières et immobilières. Des recouvrements fiscaux incohérents Toutefois, l'existence de l'ISP ne peut garantir le contrôle de l'ensemble du patrimoine dont dispose un contribuable fortuné. D'ailleurs, la Cour des comptes a adressé l'année dernière des griefs à la direction générale des impôts à ce propos dans son rapport sur la loi de règlement budgétaire 2009. L'instance a ainsi critiqué l'incohérence des recouvrements fiscaux dans la mesure où la fiscalité s'appuie sur les retenues à la source, notamment l'IRG sur salaires, alors que le patrimoine est rarement taxé, car ne représentant que 0,043% du total des impôts recouvrés. Les raisons de la faiblesse des recouvrements sont multiples. Elles peuvent être liées à la déficience du cadastre, mais aussi au fonctionnement du marché immobilier où les sous-déclarations et les trafics en tous genres sont devenus légion. Celui-ci est d'ailleurs devenu le circuit pour le blanchiment d'argent. Pour remédier à ces lacunes, les pouvoirs publics ont tenté de mettre en place des instruments et multiplié les mesures afin de traquer les signes extérieurs de richesse susceptibles de mener à une vérification approfondie de la situation fiscale (VASF) d'un contribuable, à même de détecter les cas de fraude fiscale ou de blanchiment d'argent. Il s'agissait en 2009 du renforcement du service des investigations fiscales, et lesquels sont autorisés, à la faveur de la LF 2011, à s'autosaisir en cas de doute pour procéder à une fouille au domicile du contrevenant. La LF 2011 instaure également l'obligation de transmission, par les sociétés et compagnies d'assurances, de réassurance ou tout intervenant en la matière, d'un état de police d'assurance contractée par les personnes physiques, les personnes morales et les entités administratives, au titre de leurs véhicules ou patrimoine immobilier. Un instrument qui institutionnalise la complémentarité des services et qui permet aussi à la DGI de manière indirecte de détecter les acquisitions dont les coûts ne seraient pas justifiés par un niveau de revenus en rapport. Toutefois, les flux financiers, transitant par les circuits informels et la corruption, ont pris de telles proportions, que les moyens matériels et humains, dont dispose la DGI, demeurent insuffisants pour assainir la situation. En attendant, l'autorité se contente de quelques mesures transitoires telles que la taxation des voitures de luxe et des yachts pour combler, même de manière insignifiante, le manque à gagner sur l'assiette fiscale.