Le professeur Pierre Chaulet s'en est allé à pas feutrés. Cet homme d'une extraordinaire discrétion et d'une profonde probité intellectuelle, qui a consacré sa vie entière au service de son pays, sans jamais rien demander en retour, éborgnerait bien des murs importants de l'histoire des soixante années écoulées s'il n'avait pas été là pour répandre un peu de sa lumière dans le quotidien du pays et de ses hommes.En 1954, il avait 24 ans, la guerre commençait contre le colonialisme. Son épouse Claudine et lui vont se mettre du côté qu'ils disent d'emblée être naturellement le leur. Alors que bien des patriotes qui rejoindront avec un courage indéniable le combat s'interrogeaient sur la nature des événements qui bouleversaient le pays. Il n'a pas cherché à savoir si l'eau serait froide, chaude ou tiède. Pierre Chaulet estimait que son cheminement antérieur ainsi que celui de Claudine les «conduisaient naturellement à un engagement dans la lutte de Libération nationale qui commençait en Algérie... Nous ne pouvions pas nous en tenir à des positions de principes démocratiques, antiracistes et anticolonialistes, certes respectables et communes à tous ceux qui, en Algérie ou dans le monde, ont compris et parfois aidé la lutte des Algériens pour l'indépendance nationale. Nous nous considérions comme partie prenante de ce combat et de l'Algérie future dont nous rêvions avec nos amis proches». C'est ainsi que dès le mois de décembre, ils allaient démarrer une vie, semée de périls, époustouflante, dans une complicité étourdissante. Depuis les soins apportés à des blessés de guerre, au nez et à la barbe des autorités hospitalières et bien entendu de la police colonialiste, jusqu'au transport des leaders du CCE qui avaient en eux une confiance quasi absolue, en passant par le transfert d'armes, de médicaments, de fonds. Que de condamnés à mort, recherchés par les forces colonialistes ont été hébergés chez eux ou par eux, ou alors véhiculés dans la 2CV Citroën du couple ! Pierre Chaulet a pratiquement rencontré les dirigeants de la Révolution. Il avait une amitié particulière pour Abane Ramdane. Il écrira de lui : «...La lutte continuait, et nous savions que, sans Abane, elle serait encore plus dure. Nous avions pu le sauver des mains des parachutistes et lui épargner le sort de Larbi Ben M'Hidi en janvier 1957, grâce au courage de Claudine. Nous ne pouvions rien faire, onze mois plus tard à Tunis, dans un pays frère parmi ses frères.»Après l'indépendance, il se consacrera corps et âme à la santé de ses compatriotes.Qui dira le courage d'un tel homme et de tous ceux qui comme lui ont fait «le choix de l'Algérie» ? Qui racontera leur audace ? Qui louera leur mérite ? Au moment où des voix «osent» s'interroger sur l'identité de Maurice Audin. Quand un responsable d'association parle de Maillot ou d'Yveton comme des «amis» de l'Algérie, leur déniant «volontairement ou pas» une qualité acquise de haute lutte par le sacrifice suprême. Quand on débaptise la place Ghrenassia, mort au combat pour l'Algérie, parce qu'il était juif ! Cela me rappellera toujours cette phrase lâchée par un confrère, un jour que quelqu'un avait tenu des propos où il se sentait écarté d'un débat identitaire. «Sache que ce n'est pas le hasard d'un goutte de sperme qui a fait de moi un Algérien, j'ai choisi d'être Algérien !», lui avait-il asséné contre ses insolentes certitudes. Parlera-t-on de Pierre Chaulet comme d'un «touriste» dans notre histoire ? Ceux qui enferment la guerre de Libération nationale dans une camisole arabo-islamique n'en connaissent pas la grandeur. Ceux qui croient que c'était une guerre motivée par la religion et que seuls les musulmans de ce pays ont droit à la reconnaissance des enfants de l'Algérie n'ont qu'à lire l'histoire de Pierre Chaulet et de tous les autres qui n'embrassent pas la religion de la majorité du peuple algérien, mais qui partagent avec lui sa foi en la liberté et la justice. Ce sont des femmes et des hommes semblables à celui qui vient de nous quitter qui nous font prendre conscience de la dimension universelle du combat libérateur des Algériens. Pierre Chaulet était un homme de devoir. Un homme d'exemple. Un homme exemple. Les citations sont extraites du livre de Pierre et Claudine Chaulet. Le choix de l'Algérie. Deux voix, une mémoire. Préface de Rédha Malek. Editions Barzakh. 502 pages. Alger 2012.