Le film de Saïd Ould Khelifa, qui dresse le portrait du premier Algérien guillotiné pendant la guerre de Libération, est projeté en Algérie depuis mercredi. Le président de l'Association nationale des condamnés à mort avait déjà exprimé son mécontentement à propos du scénario. Aujourd'hui, il persiste et signe : le film travestit la réalité. -Pour répondre à vos critiques, selon lesquelles Zabana est inexact, les auteurs ont expliqué que leur film avait pour but de démontrer la violence de la justice coloniale. Cette réponse vous satisfait-elle ? Ils usent de malice. Je répète que ce scénario est inexact. Il y a deux vérités que le film ne reprend pas. D'abord, la première séquence, dans laquelle Zabana exécute un garde forestier. Zabana n'est pas un terroriste. Il aurait fallu montrer les réunions clandestines en amont, et montrer également comment le garde-forestier était l'oppresseur des populations. La deuxième séquence problématique, c'est lorsque Zabana se dirige vers l'échafaud. Dans le film, il est entouré de deux gardiens. Dans la réalité, il y avait plus de vingt personnes. Et puis, le personnage de Zabana marche libre, sans menotte, alors que dans les faits, les condamnés à mort étaient entravés aux mains et aux pieds. Ils étaient tabassés en cours de route. Le film de Saïd Ould Khelifa dépeint un gardien gentil, qui accepte de transmettre une lettre à la mère de Zabana. Je pose la question : à qui veut-on plaire en faisant ce film ? Est-ce qu'on veut reproduire la vérité ou veut-on faire ressortir l'héroïsme de quelques-uns ? -Que reprochez-vous principalement à l'équipe de réalisation ? Le film ne fait pas état de la souffrance vécue en cellule. L'auteur du scénario n'avait rien à perdre à se concerter avec nous. Nous lui aurions donné des informations plus précises. Les scénaristes sont allés chercher des renseignements auprès d'une avocate qui n'était même pas encore née lorsque Zabana a été exécuté. Ils disent avoir consulté le frère de Zabana. Mais ce dernier ne peut donner des détails que sur sa vie de famille, bien avant son arrestation. Sa vie en prison, seuls les autres condamnés à mort peuvent la raconter. -Y a-t-il d'autres inexactitudes, selon vous ? Lors de l'exécution, le couperet ne s'est arrêté qu'une seule fois et pas deux, comme le film veut le faire croire. Et puis, Zabana n'a pas été exécuté seul ce 19 juin. Il y avait Abdelkader Ferradj ce jour-là. Ce dernier en voyant la tête de Zabana s'est évanoui. Il était encore inconscient quand il a été guillotiné. Dans le film, on voit Ferradj uniquement lorsqu'il crie «vive l'Algérie !» Soit on montre cet homme comme un héros jusqu'au bout, soit on n'en parle pas. Enfin, on montre le bourreau en train d'hésiter à exécuter la sentence. C'est totalement faux, c'est l'exact opposé qui s'est passé. Il était content parce qu'à chaque tête coupée, il avait une prime. Cette prime était plus importante pour les prisonniers politiques que pour les détenus de droit commun. Ce monsieur «André» a accepté avec plaisir. Un bourreau reste un bourreau. -Vous demandez aux scénaristes d'être irréprochables sur des faits historiques, mais est-ce le rôle du cinéma ? Qui fait le cinéma ? Ce sont les hommes ! Ils se cachent derrière le petit mot de «fiction». Mais la fiction est faite pour renforcer la réalité principale. Tout le film tourne autour de fausses informations. On peut à la limite fermer les yeux sur les séquences secondaires, mais pas l'exécution. C'est une injustice vis-à-vis de l'histoire. C'est un mensonge ! Je demande aux réalisateurs d'accepter une confrontation devant la presse afin qu'on débatte des détails. Jusqu'à présent, ils ont refusé. Pourquoi l'Association des anciens condamnés à mort n'a-t-elle pas été conviée à la première projection de Zabana ? Pourquoi les anciens compagnons de Zabana, ceux incarcérés dans la prison de Barberousse, n'ont-ils pas été invités non plus ? Pourquoi ce secret ? Ce film est un film clandestin. Que les auteurs en changent le titre ! -Zabana a été présélectionné pour l'oscar du meilleur film étranger. Qu'en pensez-vous ? Je me demande si l'oscar est pour l'Algérie ou pour le réalisateur. Si c'est pour l'Algérie, il faut que la première séquence soit corrigée. Pour les 2400 condamnés à mort, Ahmed Zabana est un héros et un exemple. A l'époque, dans la solitude de notre cellule, nous nous disions : «Je dois faire comme lui ou plus si je peux.» Aujourd'hui, on porte atteinte à son honneur. Quand on me parle d'oscar, je suis en colère. J'ai lancé un appel au président de la République Abdelaziz Bouteflika pour qu'on rende honneur à cet homme. -Vous demandez aux réalisateurs de restituer les souffrances morales des condamnés à mort. Pourquoi ? Nous avons besoin de laisser, via l'histoire de notre pays, un message aux générations futures. Les jeunes doivent savoir comment les Algériens sont morts en combattant pour leur pays. Dans la dernière lettre à sa mère, Ahmed Zabana écrivait : «Si je meurs pour mon pays, ce n'est qu'un devoir.» Ce message courageux doit rester dans l'histoire. On parle ici de patriotisme, de sacrifice pour son pays. Ce film devrait renforcer l'histoire de manière permanente et éternelle. Avant que le film ne paraisse, l'histoire de Zabana était mieux racontée et mieux acceptée. Le réalisateur a falsifié la réalité. Notre position est celle de l'histoire, et nous la répéterons autant de fois que nécessaire.