Ahmed Zabana, figure martyre de la Révolution, rendue emblématique par le fait qu'il a été le premier à être condamné à la guillotine par la justice coloniale et par le fait qu'il ne voulait pas qu'on le pleure, est ressuscité, en 2012 — année du cinquantenaire de l'Indépendance de l'Algérie —, par la caméra de Saïd Ould Khelifa. Le long métrage a été projeté pour la presse, mercredi matin, à la salle El-Mouggar. Une avant-première est prévue pour ce soir à 19 heures. La commercialisation du film se fera en octobre prochain. Dans ce long métrage où l'on a du mal à déceler la part fictionnelle de la réalité, le réalisateur revient sur les étapes marquantes du parcours de Ahmed (ou Hmida) Zabana : l'attaque de la Poste centrale d'Oran, en avril 1949 ; l'assassinat du garde forestier, François Braun, la nuit du 1er Novembre 1954 ; son arrestation au niveau de la grotte Boudjelida qui servait de poste de commandement au FLN ; le procès injuste durant lequel le fait colonial a atteint des cimes ; la prison de Barberousse (Serkadji) ; et enfin, son exécution, le 19 juin 1956. Zabana ! montre la torture dans ce qu'elle a de plus dégradant et abject. Pour la première fois au cinéma, elle est montrée sous ses aspects politiques avec la mise en scène de la figure de François Mitterrand, ministre français de la Justice de l'époque, qui était favorable à la guillotine. Le film restitue une scène du Conseil des ministres, du 15 février 1956, où celui qui deviendra le président de la République française vote favorablement pour la mise à mort, contrairement à, par exemple, Pierre Mendès-France. Le procès de Zabana est une autre étape marquante dans ce long métrage. L'avocat de la défense n'hésite pas à faire le procès de la colonisation. Maître Thuvenny relèvera également l'incohérence de la France coloniale, qui considère ceux qui se sont élevés contre le régime nazi comme étant des “résistants", alors que les Algériens qui luttaient pour le recouvrement de leur indépendance comme étant des “terroristes". Outre ces faits d'histoire, Saïd Ould Khelifa restitue des situations plus intimes, des scènes de la vie d'Ahmed Zabana, qui était un homme plutôt réservé et d'un tempérament calme. Le film s'intéresse au rapport du premier guillotiné de la guerre de Libération nationale, avec Ali Zamoum, à la prison de Barberousse, mais à aucun moment, le réalisateur ne nous montre que cet acteur de l'histoire est aussi un personnage-clé dans le film. Zabana ! qui sous-entend que l'exécution d'Ahmed Zabana et d'Abdelkader Ferradj est l'une des raisons qui ont fait éclater la Bataille d'Alger, exprime, timidement, les divergences idéologiques du FLN avec le MNA, mais ne va pas jusqu'à la confrontation, comme l'avait osé Rachid Bouchareb dans Hors-la-loi (2009). Zabana ! est un film qui donne également la chance aux jeunes comédiens. Imed Benchenni, en Zabana pondéré, est une “gueule" qui vient du théâtre, et qui a bien campé son rôle. Le casting est également rehaussé par des participations de comédiens prometteurs (comme Abdelkader Djeriou qui a incarné le rôle de Maître Zertal), des comédiens étrangers (comme la participation exceptionnelle d'Anne Richard) et des comédiens algériens chevronnés (à l'exemple de Mohamed et Fadéla Hachemaoui, Mustapha Ayad, et Khaled Benaïssa). Côté scénario, si Azeddine Mihoubi restitue des faits marquants dans le parcours du révolutionnaire, Ahmed Zabana, le scénario manque de dialogues et de vitalité. Le silence est parfois trop pesant, et il semblerait que le scénariste n'ait pas pris beaucoup de liberté dans l'écriture. Le résultat à cela est que le spectateur a parfois du mal à saisir la complexité du personnage. En plus d'une belle image, Saïd Ould Khelifa a essayé de faire un film d'auteur (avec des plans plutôt serrés, des focalisations, des lenteurs, etc.), en tentant de cerner la psychologie du personnage et la transmettre à son spectateur. Durant 110 minutes, ce film, produit par Laith Media, construit un propos différent de ce qu'on a l'habitude de voir dans les productions cinématographiques qui ont trait à l'histoire. Le discours n'est pas sommaire, il est plutôt subtil et tout en finesse. Il est surtout porté par un propos et des propositions esthétiques, notamment avec la fin, magistralement bien ficelée et filmée. Une véritable symphonie de l'horreur où Saïd Ould Khelifa restitue le réel, sans le travestir, et sans encombrer son spectateur de pathos et de mots inutiles. Et c'est ce qui crée l'émotion. La prouesse, à l'intérieur de la prison du moins, est que le film a réussi à nous peindre des personnages humains, qui expriment leurs sentiments. Zabana ! est un film complexe. Il s'ouvre sur une succession d'images et d'étapes de la vie du héros de la guerre de Libération, il se termine par une fin extraordinaire, qui fait oublier toutes les faiblesses du film. Un bel hommage à un homme qui est mort le 19 juin 1956. Mais cette même date est un début : Zabana est entré dans l'Histoire, lui qui avait écrit, dans la dernière lettre adressée à ses parents : “Ne me pleurez pas, soyez fiers de moi." S K