Les Libanais, que l'on croyait débarrassés de la guerre civile qui avait terrassé leur pays et détruit leur mosaïque que l'on disait exemplaire grâce à la coexistence de ses diverses communautés, n'ont jamais pu se défaire de ce cauchemar. «Quand ?» ne cessaient-ils de se demander, surtout depuis 2006, quand des lignes de fracture sont apparues à la suite de l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, persuadés d'une reprise de cette guerre. Ce qui est arrivé, vendredi, pourrait les conforter dans cette crainte, mais rien ne les empêchera de voir dans cet attentat un message fort qui leur est adressé. C'est en effet dans le village de Achrafieh qu'a éclaté la guerre civile. C'était le 15 avril 1975, quand un bus transportant des Palestiniens a été mitraillé. Quatorze années de folie meurtrière, mais aussi d'interrogations sur les raisons de cette guerre. «Pour les autres», avait alors dit un observateur avisé de la scène politique libanaise. Cette fois, ce n'était pas une embuscade mais un attentat à la voiture piégée, et les victimes sont toutes libanaises. On constate d'ores et déjà une montée en cadence de la violence, la guerre civile en Syrie n'étant dans ce cas-là qu'un facteur aggravant puisque le dernier attentat dans cette région remonte à janvier 2008, quand un officier des renseignements libanais a été assassiné également à la voiture piégée. Un procédé bien connu des Libanais, qui ont eu à en souffrir jusqu'aux accords interlibanais de Taef de 1989, et même bien au-delà, quand la violence devenait le recours dans les crises politiques jusqu'à en être banalisée. Au point où les Libanais, excédés, cessaient de faire des projets et vivaient leur vie intensément. L'avenir, c'est pour plus tard. Ou pour les incrédules, devaient-ils se dire. Avec le conflit en Syrie et même si les Libanais craignaient un retour de la guerre, comment alors en parler ? L'un n'alimenterait-il pas l'autre ? Ce que semble réfuter le secrétaire général de l'ONU, qui avait bien attiré l'attention sur la situation au Liban. Et l'on constate à quel point sa crainte n'était pas exagérée, même si, encore une fois, les Libanais sont les premiers à considérer que ce qui se passe dans leur pays a des causes profondes et anciennes auxquelles est venue se greffer la guerre civile en Syrie. Quelques heures à peine avant l'attentat de Achrafieh, il disait sa très grande inquiétude de «l'impact de la crise syrienne sur le Liban», tout en soulignant que «le Liban a connu des escarmouches à la frontière, un trafic d'armes, l'afflux de milliers de réfugiés, des affrontements meurtriers entre sunnites et alaouites et des tentatives d'assassinat politique qui ont déstabilisé le pays». Ces propos, consignés dans un rapport au Conseil de sécurité, sont inédits, mais aussi d'une extrême gravité. Qu'une instance internationale en vienne à en parler en ces termes, cela veut dire qu'il y a danger et qu'il n'est plus possible de continuer à occulter une telle réalité. En fait, tout s'imbrique et tout s'explique, même cette peur des Libanais.