Sur la base d'une analyse des textes d'archives vietnamiens, Pierre Asselin, Canadien d'origine québécoise, vivant aux Etats-Unis, a apporté un éclairage inédit au sujet de l'influence de l'indépendance de l'Algérie (1962), sur le déclenchement de ce qu'on appelle la guerre du Vietnam. Plus précisément, il s'agit de la décision de poursuivre la lutte armée. Sa communication cadre bien avec l'intitulé du colloque «1962 : un monde» organisé au Crasc à Oran, et lors duquel il est intervenu à la clôture. «Je ne minimise en rien les visées américaines et ses provocations dans le contexte d'une guerre froide qui était à son apogée durant cette période de 1962, mais il faut savoir que les Vietnamiens eux-mêmes ont contribué au déclenchement de cette guerre», précise-t-il, pour mieux situer l'objet de son étude. Pour lui, avec la victoire de Dien Bien Phu en 1954, les révolutionnaires vietnamiens (qui se considéraient comme un modèle pour les mouvements de libération et qui étaient en lutte contre le colonialisme français et l'impérialisme américain) ont seulement gagné une bataille, mais pas la guerre. Ce n'était pas une victoire totale. Cet épisode a évidemment inspiré les Algériens qui, en revanche, en 1962, ont acquis une indépendance totale et définitive. Les combattants vietnamiens de Hanoï étaient des marxistes-léninistes dévoués et au lendemain de Dien Bien Phu et les accords de Genève, le principe d'une «cohabitation pacifique» avec Saigon a été adopté, un point de vue partagé avec le parti communiste de l'Union soviétique sous Khrouchtchev. L'universitaire canadien, de la Hawaii Pacific University, estime que même Ho Chi Minh avait alors adopté le principe de la négociation et il était la personnalité la plus influente durant cette période. La solution politique était également mise en avant pour des considérations de politique extérieure dans un contexte particulier caractérisé par le conflit sino-russe (tous deux communistes donc alliés naturels) et, plus tard, les désaccords entre la Chine et l'Inde (un pays non-aligné favorable au Vietnam). «Cette situation ne militait pas en faveur de la reprise de la lutte armée pour libérer la totalité du pays, car on avait besoin du soutien moral et matériel de ses pays», indique Pierre Asselin, pour qui le basculement a eu lieu entre juillet et septembre 1962, avec le changement opéré au sein du gouvernement et où les dirigeants aventuristes ont fini par prendre le dessus. «Les Américains étaient certes décidés, mais il faut savoir qu'à l'intérieur, à Hanoï, on a également préparé les conditions», affirme-t-il, en incluant dans son analyse la crise des missiles de Cuba et, bien sûr, l'espoir d'une victoire totale comme ce fut le cas en Algérie. Le contexte international, en rapport avec la guerre d'Algérie, a été également développé par Hassan Remaoun, socio-historien qui, après avoir fait le tour de la notion du tiers-monde, s'est particulièrement basé sur une lecture des articles du journal El Moudjahid d'avant l'indépendance, une publication militante devenue organe du FLN de l'époque. A travers les comptes rendus détaillés des voyages à l'étranger des délégations du FLN, il démontre l'importance d'une bataille diplomatique menée à une très grande échelle et sur les trois continents les plus significatifs : Amérique latine, Asie et notamment l'Afrique, après l'émergence des premiers pays indépendants à partir de 1960. Intervenant dans le débat, Ali Haroun, ancien acteur du mouvement national, a précisé les conditions de la naissance du journal (ronéotypé clandestinement à Alger avant d'être publié à Tétouan, puis à Tunis) et ajouté quelques noms de la rédaction, comme Dahleb, en plus des personnalités connues à l'instar de Fanon, Pierre Chaulet ou le commandant Azzedine, cités par Remaoun. Il a aussi évoqué le rôle joué par Abane Ramdane qui a unifié les rangs et les précédentes éditions qui paraissaient en France, Maroc et Tunisie. Pour lui, Abane était fidèle aux résolutions de la Soummam, en rappelant une expression lui ayant valu, dit-il, des démêlés avec Ben Bella : «Le FLN n'est inféodé ni à Washington, ni à Moscou, ni au Caire.»