Pour beaucoup d'acteurs et d'observateurs, la feuille de route du gouvernement est truffée de non-dits… Tunisie De notre correspondant Les premiers échanges sur les débats constitutionnels montrent que le flou continue à caractériser les délais proposés par la troïka pour les débats constitutionnels. En effet, le rapporteur général, Habib Khedher, continue à affirmer que «la Constitution ne sera pas prête avant fin mars 2013». Pourtant, le communiqué du 13 octobre des partis de la troïka gouvernante propose «des élections présidentielle et législatives pour le 23 juin 2013, avec un éventuel deuxième tour le 7 juillet pour la présidentielle». «Les deux dates ne sont pourtant pas cohérentes dans la mesure où la loi électorale ne saurait être légiférée qu'après l'adoption de la Constitution et le choix du régime politique. Or, entre la fin mars et le 23 juin, la période n'est pas suffisante pour réaliser les tâches antérieures aux échéances électorales», constate Maya Jeribi, secrétaire générale du Parti républicain. «Déjà, au sein même de la troïka, certains parlent d'un régime semi-présidentiel, d'autres le nomment présidentiel aménagé et d'autres encore parlementaire aménagé. Ce n'est, certes, pas l'appellation qui compte le plus, mais la répartition des prérogatives. Toutefois, ces diverses appellations renvoient sur des divergences de fond sur la répartition des attributions entre le gouvernement et la présidence de la République», remarque le politologue Redissi. Différends Un autre différend relatif à l'Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) reste posé ; il ne suffit pas que la troïka s'entende sur le nom de Kamel Jendoubi pour la présider. Ce dernier a raison de dire que «l'essentiel n'est pas dans ma nomination, mais plutôt dans l'indépendance de cette institution et les attributions de ce président».Or, la loi instituant cette ISIE n'a pas été encore décrétée. Le projet en examen à l'Assemblée a été critiqué par Jendoubi qui reproche à l'une des versions (car il y en a plusieurs) des incertitudes pouvant influer sur l'indépendance de l'instance et son autorité. De telles réserves laissent entendre que même la problématique supposée être résolue, qui est celle de l'instance des élections, nécessite encore des précisions pour devenir opérationnelle. Ce n'est pas par hasard que le président de l'ANC, Dr Mustapha Ben Jaâfar, a dit que «cette instance ne sera installée qu'en décembre prochain». Il y a aussi le fait que l'instance transitoire indépendante de la magistrature et de la Cour constitutionnelle soit passée sous silence. Cette défaillance est de taille si l'on sait que la question de la magistrature a été soulevée par l'Organisation provisoire des pouvoirs publics. Cour constitutionnelle Pour ce qui est de la Cour constitutionnelle, s'il y a, certes, un accord autour de cette question au sein de la commission des juridictions présidée par le doyen, Fadhel Moussa, ce consensus demeure toutefois sujet à des renversements de position des islamistes d'Ennahda. Leur président, Rached Ghannouchi, a dit dans une interview à Courrier international qu'«il ne devrait y avoir aucune instance au-dessus de l'Assemblée choisie par le peuple, ni Conseil supérieur islamique ni Cour constitutionnelle». Ces paroles ne sont pas vaines. C'est dans cet ordre d'idées que l'islamiste Sadok Chourou a contesté, dans son intervention lors des débats du mercredi 24 octobre sur le projet du préambule de la Constitution, «l'absence de référence à la charia dans le préambule» qu'il considère «inapproprié avec la conjoncture révolutionnaire et les aspirations du peuple». De son côté, le président du Bloc Wafa, dissident du CPR, Me Abderraouf Ayedi, a reproché «l'absence de référence à la rupture avec l'entité sioniste», ainsi que «cette essence révolutionnaire qui insisterait sur l'épuration des appareils sécuritaire et judiciaire». Pour sa part, Karima Souid, députée d'Ettakattol, trouve qu'«en matière de libertés et de droits humains, le préambule ne traduit en rien les valeurs et les principes pour lesquels les Tunisiens sont descendus dans la rue il y a deux ans». La députée Samia Abbou évoque «des pièges dans le préambule», notamment «le désir d'Ennahda de glisser sa primauté sur les autres articles pour faire prévaloir l'islam comme religion d'Etat et exploiter cette référence en substitution de la charia», précise la députée du CPR. A vue d'œil, beaucoup reste à faire, surtout si la volonté politique n'y est pas. La troïka avait promis au peuple une feuille de route ficelée le 18 octobre, en commémoration de la fameuse grève de 2005. Or, ce délai est passé. Le 23 octobre est également passé. Les discours des trois présidents, à cette occasion, n'ont pas apporté l'espoir promis.