L'anniversaire de l'an I de l'Assemblée constituante tunisienne a été fêté dans la morosité. Car les Tunisiens, qui ont pris leur mal en patience depuis un an, n'ont pas eu droit à leur nouvelle constitution. Mieux, les députés de l'opposition, de leur côté, ont carrément boycotté, mardi matin, les discours de l'exécutif. Le président de la République, celui de l'Assemblée et le premier ministre, représentant la troïka au pouvoir, se sont adressés uniquement à leurs pairs. Les trois présidents ont plaidé pour l'apaisement dans le pays qui marquait mardi le premier anniversaire de l'élection de l'Assemblée nationale constituante (ANC) dans un climat de tensions croissantes émaillées de violences. Lors de son discours, le président Moncef Marzouki dira d'emblée : “Nous ne pouvons rien construire sur la base de la haine et de la remise en cause de l'autre", appelant les partis à cesser de se “diaboliser" les uns les autres. De son côté, le Premier ministre, l'islamiste Hamadi Jebali, a appelé les forces politiques à assumer leurs “responsabilités historiques" et à ne pas “pousser la situation vers la crise, la surenchère et la violence". Il faut dire que l'anniversaire des premières élections libres de l'histoire de la Tunisie intervient dans un climat délétère, avec notamment la mort la semaine dernière à Tataouine d'un opposant dans des affrontements entre partisans des islamistes d'Ennahda, qui dirigent le gouvernement, et leurs adversaires. Autre signe de ces divisions profondes, c'est le boycott des députés de l'opposition du discours des dirigeants tunisiens. La principale centrale syndicale, l'UGTT, avait tenté le 16 octobre d'organiser un “dialogue national", mais Ennahda et le parti de M. Marzouki l'ont boycotté. En retour, l'opposition a rejeté la proposition du pouvoir d'organiser des élections le 23 juin 2013, et aucun calendrier pour l'adoption de la Constitution n'a émergé. Dans ce contexte, des renforts de l'armée et de la police ont été déployés en nombre à travers le pays où l'état d'urgence est en vigueur depuis la révolte de janvier 2011. Aucune manifestation unitaire pour célébrer le 23 octobre n'a eu lieu, alors qu'une partie des opposants juge que le gouvernement a perdu mardi sa légitimité, l'Assemblée qui n'est pas arrivée à adopter la nouvelle Constitution dans un délai imparti d'un an. Symboliquement, l'Assemblée a débattu du préambule de la future loi fondamentale, un premier débat en plénière qui ne concernait cependant pas l'organisation des pouvoirs qui est le sujet de nombreux désaccords. Des centaines de manifestants pro-pouvoir et d'opposition ont manifesté toute la journée devant l'ANC en s'invectivant, avant de quitter les lieux dans le calme, alors que les manifestations sont régulièrement dispersées sans ménagement ou dégénèrent en affrontements avec la police. “Peuple, tu commences aujourd'hui à sentir, à toucher la réalité des courants laïques, soumis à la volonté de puissances étrangères qui veulent te contraindre à l'apostasie", a dit le chef du groupe Ansar al-charia (Partisans de la loi islamique), soupçonné d'avoir orchestré l'attaque de l'ambassade des Etats-Unis le 14 septembre (quatre morts). “Les progrès réalisés en matière de droits humains après le renversement de Ben Ali sont battus en brèche par l'équipe gouvernementale au pouvoir, qui suscite des doutes sur son engagement en faveur de réformes", a relevé Amnesty International. Dans son rapport intitulé “la Tunisie, un pas en avant, deux pas en arrière", elle a souligné que “les restrictions à la liberté d'expression se sont durcies" sous prétexte “de maintien de l'ordre public et moral". En dépit d'un contexte de tensions, de dissensions et de tiraillements, la troïka au pouvoir est parvenue, finalement, à un consensus sur la nature du régime politique qui sera inscrit dans la Constitution. Présidentiel pour les uns, parlementaire pour d'autres, le régime politique serait mixte. Un régime, qui se veut modéré, et au sein duquel le président de la République serait élu au suffrage universel et le gouvernement nommé par le Parlement. A cet effet, la liste de candidature sera, cette fois-ci, longue et l'enjeu de la présidentielle sera plus difficile. L'on a déjà avancé quelques noms de prochaines candidatures intéressées de régner au palais de Carthage. Sans surprise, le parti islamiste Ennahda avait choisi dans un premier temps son leader historique Rached Ghannouchi. Depuis, la vidéo fuitée du leader d'Ennahda en conclave avec les salafistes a bouleversé non seulement les affaires mais aussi les Tunisiens. Rached Ghannouchi a perdu la confiance du peuple. Raisons pour lesquelles le parti choisira un autre pion : l'actuel chef du gouvernement, Hamadi Jebali. Dans le même temps, Nidaa Tounes, ce nouveau-né est devenu la cible privilégiée des partis de la Troïka et notamment Ennahda. Tous les sondages ont confirmé que ce parti occupe la deuxième place. Nidaa Tounes devrait officialiser la candidature de Taieb Baccouche, secrétaire général du parti. Le Congrès pour la République, CPR, devrait renouveler la candidature de Moncef Marzouki, actuel président de la République. I. O.