Youcef Mila, auteur de Rah Ikharef (il divague), prend visiblement du plaisir à démonter l'image surfaite de l'intellectuel. « L'intellectuel arabo-musulman en général, algérien en particulier, n'a aucun rôle dans la société. Il est en décalage avec cette société et même avec l'histoire. C'est presque pathologique, dirais-je, car il est incapable de peser sur le cours de l'histoire », déclara-t-il à la fin du spectacle, présenté en générale jeudi dernier, mis en scène par Kadri et produit par le théâtre de Sidi Bel Abbès. Un spectacle qui, même s'il a accroché un public composé en majorité d'étudiants, s'est dévoilé dans un style de jeu décalé et volontairement codé. Dine El Hannani Djahid, campant dans le rôle de l'intellectuel - éboueur la nuit, chauffeur de taxi le jour - ne tardera pas à se retrouver dans une salle de justice. Motif invoqué : meurtre avec préméditation commis sur la personne d'un agent de police en uniforme rose. Assassinat perpétré à un carrefour où se « négociait toute la problématique de la circulation algérienne ». L'intellectuel bouc émissaire se dit innocent (comme toujours !) et ramène un témoin pour sa défense. Coup de théâtre, le procès n'aura pas lieu. « L'agent est une victime d'un crime intra-autorité », explique Mila. Un malentendu ? Le crime reste en tous les cas inexpliqué. Comme bon nombre de crimes. « Je n'ai rien compris, absolument rien. C'est un patchwork de personnages pathologiques. Ce Mila doit être fêlé tout comme son texte », sème, par-ci par-là, un spectateur plutôt intrigué. « C'est dramatique au fond, car je considère que l'intellectuel est une auto-victime. Il se présente comme celui qui va nettoyer les consciences et il finit par ramasser des ordures. Il n'arrive même pas à expliquer ce qui arrive autour de lui », considère l'auteur de Rah Ikharef. « C'est un texte assez fort pour celui qui veut méditer. Mon objectif à moi était de donner un sens au visuel avec un souci d'harmonie pour ce qui est des couleurs », dira Hamdad, scénographe, qui a choisi comme unique décor un assemblage de tubes en aluminium, représentant vaguement le sigle renversé d'une grande firme pétrolière. De chez nous. Texte entamé au milieu des années 1990, Rah Ikharef naîtra après plusieurs travaux de traduction. Mila, professeur de philosophie à l'université de Sidi Bel Abbès, traduira entre autres Zana, un roman écrit par H'mida Ayachi. Rah Ikharef qui sera présent au prochain festival professionnel d'Alger est un spectacle ! à voir. A revoir si possible.