Au cours de ces dernières années, l'éducation nationale a changé à la fois de dimension et de nature. Il était normal que le changement de dimension fût perçu d'abord, parce qu'il posait les problèmes de plus urgents. Le développement de l'enseignement préélémentaire, l'extension à seize ans de la scolarité obligatoire, une proportion croissante d'élèves qui poursuivent dans le cycle secondaire et dans l'enseignement supérieur, se cumulant avec la vigoureuse poussée démographique, ont provoqué la croissance rapide des effectifs d'élèves. Nous sommes entrés dans une ère d'enseignement de masse.La nation a fait face, pour l'essentiel, aux problèmes quantitatifs posés par cette «explosion scolaire» et c'est un résultat remarquable. Il a été rendu possible par l'importance de la part accordée à l'éducation nationale dans le budget de l'Etat. Une nouvelle priorité : les problèmes qualitatifs. «La bataille de la quantité ayant été gagnée, reste la bataille de la qualité.» (M. Ouyahia, El Watan du 23/12/2010). Mais dans la mesure où cette première bataille, au prix d'efforts qu'il faudra poursuivre sans relâche, est en voie d'être gagnée, nous devons porter une attention redoublée aux problèmes qualitatifs qui naissent du changement de nature de l'éducation nationale et dont les solutions ne peuvent être longtemps différées.A considérer les inquiétudes et les revendications des jeunes, l'anxiété des parents, les interrogations des enseignants, il semble en effet que la nation ne reconnaisse plus son école. «Une baisse du niveau inquiétante» (El Watan du 2/01/2011). La plupart des parents ont recours aux cours particuliers privés qu'ils payent cher. Pour ceux qui ont deux enfants et plus, c'est la saignée dans le budget familial ! Cet état de fait, que nous n'avions pas connu dans les années 1960 et 1970, prend de plus en plus d'ampleur. L'enseignement, la vie scolaire, l'appareil éducatif se montrent inadaptés dans une société en évolution rapide. Les réformes, souvent importantes, intervenues au cours des dernières années, ne sont pas perçues comme les pièces d'un dispositif cohérent. Ainsi se renforce chez beaucoup le sentiment que l'on détruit l'école à laquelle ils étaient accoutumés sans en bâtir une nouvelle. Nous ne pouvons nous accommoder de cette situation. Après un enseignement élémentaire de cinq ans, qu'en est-il du niveau de nos enfants ? L'enseignement élémentaire est la base de tout notre monde éducationnel. Lui réserver la primauté est indispensable pour la réussite de notre progéniture. «Lire, écrire, compter» : ainsi résumait-on naguère le triple objectif de l'école primaire. Or, nous constatons, après une scolarisation de cinq années, que des élèves passent en 1re année moyenne avec un niveau faible dans les matières essentielles, comme la lecture, le calcul (des enfants ne sachant pas leur table de multiplication), l'expression écrite, sans oublier la langue française, qu'ils étudient depuis la 3e année… La lecture est la base de tout : «Sans la lecture, l'enfant ne sait pas sa langue et il n'y a pour lui ni savoir ni culture possibles.» A la fin du cycle primaire, il est normal de considérer, à quelques rares exceptions, que la période d'apprentissage de la lecture est terminée. Les techniques sont acquises à ce stade de la scolarité. Pourtant, nous rencontrons malheureusement des élèves qui lisent mal, ne déchiffrent pas sans efforts, ne lisent pas couramment et dont la diction est défaillante. Certains ânonnent. On doit reconnaître que pour certains élèves, la lecture reste une besogne pénible, où s'absorbe et s'asservit l'intelligence. Et parmi ceux qui ont atteint le palier de la lecture courante, beaucoup trop portent les marques indélébiles de leur pénible ascension : ton scolaire, déclamation fausse, méconnaissance du rythme… La lecture est la clé de voûte de l'enseignement primaire. L'enfant ne peut rien apprendre s'il ne sait pas lire, il n'apprend rien volontiers s'il ne sait pas lire aisément. Lire, c'est à la fois comprendre et interpréter. Savoir lire, c'est être capable de lire un texte silencieusement ou à haute voix à un rythme assez rapide pour que l'intelligence soit capable de saisir le sens, non d'un mot, mais d'un groupe de mots, c'est avoir l'esprit assez alerte pour déterminer ces groupes de mots au premier contact avec un texte. C'est enfin avoir acquis une aptitude à la synthèse assez sûre pour que les divers sens que recouvrent ces groupes de mots soient juxtaposés, mais coordonnés et hiérarchisés. Que nos enfants articulent nettement, prononcent avec pureté, respectent la ponctuation et les liaisons. Apprenons-leur à bien lire, à lire avec intelligence et avec plaisir, choisissons des textes vivants, des récits captivants. Et si nous avons su éveiller le goût de lire, plus tard ils ne seront plus murés dans un monde étroit, quartier ou village. Le livre les arrachera à la monotonie quotidienne, aux soucis vulgaires, il leur ouvrira le monde de la pensée, de l'imagination et du sentiment. «Il relèvera l'humble lecteur en dignité, en valeur humaine». Il faut pour que l'enfant puisse lire et écrire avec autant d'aisance qu'il parle, que s'opèrent une évolution, une maturation de ses possibilités linguistiques. Il faut qu'il soit spontanément enclin à une analyse verbale dépouillée de tous les résidus concrets… Lorsqu'il désire exprimer quelque chose, il faut que d'innombrables thèmes formels, infiniment plastiques, infiniment mouvants et cependant impérieux se pressent à la moindre occasion au seuil de sa conscience et appellent des mots ; il faut que ces mots surgissent spontanément, appelés non point par leur composition ou leur sonorité, mais par leur signification et leur rôle grammatical. Actuellement, dans nos classes, nous déplorons trop souvent l'indigence de la pensée, de la pensée critique, la pauvreté et l'imprécision du vocabulaire ainsi qu'une maladresse indéniable à ordonner un développement. «Apprendre à écrire, comme apprendre à parler, c'est apprendre à penser». La maîtrise de la langue est un impératif primordial pour nos élèves. Nos apprenants éprouvent des difficultés à communiquer. Ils font des fautes grammaticales, de syntaxe, de conjugaison, d'orthographe… La correction de la langue s'acquiert surtout par la pratique. Sa maîtrise permet et impose à celui qui reçoit un message de structurer une pensée que l'effort de formalisation aura mieux précisée. Structuration et libération de l'imagination sont indispensables à tous et à chacun. Elles s'imposent non seulement dans le cours de l'expression verbale, mais dans toutes les autres disciplines. C'est dans les livres que l'enfant trouvera un nouvel aliment aux besoins de son imagination. L'enfant, dans un monde mouvant, assourdissant d'informations où il aura sans cesse à se situer, à comprendre et à émettre des messages, sera d'autant plus apte à être un citoyen, un travailleur, un homme heureux, qu'il sera maître de l'instrument linguistique. Il parlera, il lira, il écrira. Les expériences d'éducation des adultes et les statistiques montrent combien ces trois actes sont actuellement réservés à un petit nombre et quels obstacles ils constituent pour les autres ! Prévenir l'inadaptation scolaire Nous avons souvent soulevé la lourdeur des programmes, le problème de la formation des maîtres, de la surcharge des classes, de la double vacation, du manque de psychologues scolaires, de matériel pédagogique et supports audio-visuels, des emplois du temps des maîtres, des rythmes scolaires, de l'indigence des activités culturelles et sportives… L'amputation de l'enseignement primaire d'une année a entraîné chez nous une surcharge des classes d'abord au primaire, puis au moyen et maintenant au secondaire. La France a procédé de même bien avant nous. Actuellement, leurs professeurs du moyen peinent devant la dégringolade du niveau de leurs élèves en calcul, des élèves qui rédigent mal, des fautes d'orthographe en évolution, l'indigence du vocabulaire… Et pourtant, leurs classes ne connaissent pas la surcharge, la langue maternelle est la langue de l'école, leurs établissements bien équipés, une pédagogie diversifiée, des manuels scolaires bien conçus et aussi diversifiés, leurs écoles qui arrêtent les cours le 30 juin au soir…Le nouveau gouvernement va tout revoir. Il pense à une refondation du système éducatif. Chez nous, le redoublement est constaté dans la plupart des classes de la 1re AM. Certaines comptent jusqu'à 10 élèves, avec des moyennes oscillant entre 4 et 9/20. Il est un palliatif regrettable. De tous les maux qui frappent notre enseignement, chacun sait que le redoublement cumulatif est l'un des plus périlleux. Il reflète une méthode pédagogique absurde. Non seulement il transforme le retard en échec, mais encore il devient une véritable institution et, par là-même le symptôme de l'inadaptation de ce système. Il est source du ralentissement et du blocage de la progression éducative. Il repose sur une reconnaissance de retard, mais il transforme, qu'on le veuille ou non, ce constat de retard en confirmation de l'échec. Un phénomène d'une telle intensité fait du redoublement un symptôme inquiétant d'inadaptation de notre système éducatif. C'est un signe manifeste de l'échec de nos méthodes d'enseignement. Les élèves diffèrent les uns des autres, non seulement par leur niveau intellectuel, leurs aptitudes, leurs motivations, mais encore par leur rythme dans l'acquisition des notions nouvelles. C'est la décision de redoublement qui construit l'échec scolaire en élaborant une image ponctuelle et inexacte de la situation de l'élève. Elle transforme un déficit objectif en un jugement de valeur. C'est l'inadaptation de l'école aux objectifs, aux finalités qu'elle s'assigne. Les enseignants ressentent une angoisse de cette contradiction. Leur fonction est-elle simplement de transmettre des connaissances ou, beaucoup plus globalement, faisant d'eux des éducateurs véritables, prenant en charge l'éducation maximum de l'enfant et le développement de sa personnalité ? Ils n'ont pas été formés à cela. L'inadaptation de l'école aux lois psychologiques du développement de l'enfant est manifeste. Comment en finir avec cette ineptie éducative ? Prévenir l'inadaptation scolaire, c'est protéger la personnalité en devenir ; traiter l'inadaptation scolaire constituée, c'est permettre à une personnalité perturbée de retrouver son équilibre psycho-social. La situation de ces malheureux, en pleine poussée pubertaire, maintenus dans le milieu frustrant et humiliant de classes fréquentées par beaucoup plus jeunes qu'eux, est dramatique. Leur quasi totalité quittent l'école dès la fin de la scolarité obligatoire en état d'échec, d'abandon ou de rejet, toujours en situation d'infériorité. Dans leur ensemble, ils n'ont pas pu s'adapter aux exigences de la pédagogie collective de notre enseignement et le décalage patent entre leur situation personnelle et la norme exigée par le système socio-pédagogique n'est pratiquement jamais surmonté. Dans un redoublement, certains enfants qui étaient prêts à s'épanouir se replient sur eux-mêmes, si leur maître leur souligne leurs fautes et leurs faiblesses d'une façon maladroite. Ils se renferment et souffrent d'un sentiment d'infériorité. Souvent même, la crainte d'être l'objet d'un reproche, les paralyse au point qu'ils s'efforcent de refouler certaines idées ou certains sentiments et finissent par se sentir coupables de les avoir en eux. La psychanalyse a particulièrement porté son effort sur ces refoulements et en a souligné les dangers. «Il y a refoulement, a dit le professeur Marcault, lorsque l'action d'un traumatisme social ou d'un sentiment négatif causé par des traumatismes antérieurs, le moi cède à la force ou à la peur, abdique sa fonction consciente d'examen et de jugement et détourne sa volonté de l'acte à accomplir». Les troubles engendrés par les refoulements répétés sont maintenant bien connus : sans aller jusqu'à évoquer tous les complexes en vogue, contentons-nous de signaler l'amoindrissement de la volonté, la perte de l'initiative, la passivité, l'abdication du moi et, parfois, de désocialisation par faiblesse ou révolte. Qu'on ne s'étonne pas alors de leur agressivité réactionnelle et de leur rejet de l'école. Il faut rappeler que l'école, plus que tout autre institution, est le cœur de la communauté nationale. Elle est la source de notre futur. Elle est le principal levier de la démocratisation et de la promotion sociale. Elle doit redevenir partout lieu où la jeunesse découvrira la joie de travailler et de vivre dans le respect d'autrui et la confiance en l'avenir. Il ne s'agit plus là des moyens, mais de ce qu'on en fait. Ce qui est en cause, c'est la rénovation de notre politique éducative elle-même, afin de l'adapter aux besoins de notre société nouvelle, d'une école qui a changé, d'une jeunesse différente de celle à laquelle nous avons appartenu. Est-il possible de tracer les grandes lignes d'un projet qui réponde à ce dessein ? Qui soit à la fois assez ambitieux et assez crédible ? Qui permette une stratégie du changement, en assurant, dans le temps, la continuité et la cohérence de l'action de réforme ? La plupart des réflexions sur l'avenir de l'école, il est important de le constater, s'accordent à le reconnaître. La nécessaire adaptation de nos méthodes d'enseignement Réformer en profondeur notre pédagogie, qui n'a que peu évolué, est une nécessité imposée à coup sûr par les transformations survenues dans la société et dans l'école elle-même. Dès leur jeune âge, les enfants sont aujourd'hui mêlés au monde des adultes. Ils sont plus précoces. Les moyens modernes de communication, notamment les moyens audiovisuels, sont devenus pour eux un mode naturel d'expression et le maître n'est plus seul intercepteur entre le savoir et les élèves. La multiplication des connaissances exigée par le développement de la civilisation technique et technologique s'accompagne d'un accès de plus en plus aisé aux sources de documentation et l'acquisition de l'activité à apprendre et à faire, devient plus importante que l'accumulation du savoir mémorisé. Les mesures qualitatives qu'exige la mise en œuvre de la politique éducative donneront des résultats importants : des élèves mieux formés, un climat scolaire assaini, une diminution des taux de redoublement. Conclusion Bâtir une éducation nationale à la hauteur de sa mission dans une Algérie moderne, pour une société de progrès, constituée de citoyens responsables, doit être une grande ambition de notre pays. L'école publique doit s'ouvrir à la vie, mais tout en demeurant selon sa tradition, un lieu où l'on apprend l'objectivité et le respect mutuel. Il y va de son avenir et de sa survie. En nous engageant dans la voie de leur réalisation progressive, nous allons pouvoir prodiguer un enseignement de qualité. Nous devons ensemble apporter notre entier concours à cette noble mission, à cette grande tâche de rénovation de notre Education nationale pour qu'elle redevienne, comme elle l'a été, un objet de notre fierté, et pour que notre jeunesse puisse pleinement y apprendre à être et à construire son bonheur dans un monde meilleur qui l'attend.