Que peut-on faire lorsque la seule usine de la région menace de fermer ses portes ? Des centaines de familles issues des zones les plus déshéritées font face à cette équation. A qui la faute ? Aux gestionnaires, aux autorités ou à la conjoncture mondiale ? A voir.... L'histoire commence au début des années 70. Dans l'euphorie de l'Algérie indépendante, le président Boumediene lance, en grande pompe, un " plan de rééquilibre régional ". L'idée paraissait lumineuse : chaque région du pays devait avoir une usine industrielle. Le président socialiste avait mis un point d'honneur à ce que ces " fleurons " de l'industrie algérienne soient placés dans les régions les plus enclavées. De nombreuses années plus tard et après que l'Algérie eut connu de multiples changements, le conte se transforme en cauchemar. D'après les chiffres transmis par l'Union générale des travailleurs algériens (Ugta), le plan de dissolution de 142 entreprises publiques économiques (EPE) arrêté d'un commun accord entre la l'Ugta et le ministre de la participation et de la promotion de l'investissement (MPPI) aura pour conséquence directe la perte de 13.820 emplois. Une " catastrophe " pour ces pères de familles issus des zones rurales dans lesquels les taux de chômage sont importants. Un véritable désastre social. La situation est d'autant plus insoutenable pour ces travailleurs que la plupart d'entre eux n' a pas touché de salaires depuis plusieurs mois. " Les gens n'en peuvent plus, ils sont en train de vendre leurs affaires pour survivre. Qu'on nous donne nous nos salaires ou qu'à tout le moins on lance un plan de relance de l'usine ", lance, dépité, un des travailleurs de l'entreprise de cuir " Mahira " de Frenda. Ahmed Benachera, syndicaliste, ajoute : " nous avons demandé à ce que l'on ne ferme pas toutes les usines de cuir de l'ouest. Les entreprises en difficultés sont généralement basées à Tiaret, Sig, Sidi Bel Abbès....les travailleurs n'auront pas où aller. Certains ont passé plus de dix ans dans ces entreprises et ils ne sont pas encore éligibles à la retraite ". Au vu des documents que nous avons pu nous procurer, la situation de certaines EPE est des plus déplorables. Les entreprises d'industries manufacturières (les 24 EPE les plus mal au point) cumulent, à elles seules, plus de 17 milliards de dinars de dettes. Leur chiffre d'affaire de l'année 2004 régresse inexorablement (-72% pour Mebati Tissemsilt, -48% pour Emacs Sig, -51% pour Mesina Hassi Bahbah...). Cependant, même si la situation financière de ces entreprises parait désastreuse, beaucoup de travailleurs croient encore qu'une relance est possible. Ils s'insurgent du fait que le département de Abdelhamid Temmar conditionne le payement des arriérés de salaires par leur consentement à la fermeture des entreprises. Une démarche que les syndicalistes et les travailleurs assimilent à du " chantage ". Pour l'heure, nous dit-on du coté de la direction de ces entreprises, les pouvoirs publics font une analyse de la situation en vue de transférer le dossier au Conseil des participations de l'Etat (CPE), seul instance à même de décider de la dissolution des entreprises. Importe qui peut Comment en est-on arrivés là ? La débâcle des entreprises publiques (et même les entreprises de cuirs et textiles privées) remonte au milieu des années 80 lorsque le marché algérien a commencé à s'ouvrir en direction de l'extérieur. D'après les experts du secteur, la dégringolade s'est déroulée en trois temps. Première étape : alors que, du temps de Boumediene, les pouvoirs publics avaient mis le paquet sur ces entreprises, ils n'ont pu, renouveler leurs équipements, devenus obsolètes à l'époque de Chadli. Deuxième étape : l'ouverture du marché au début des années 90 a fait que les produits algériens ne pouvaient soutenir la concurrence de produits venus d'ailleurs. Troisième étape : dès l'année 1994 apparaît de manière plus flagrante le " trabendo " et la naissance du marché de l'informel. Et ce n'est pas encore fini...A ce système économique perturbé de l'intérieur, s'ajoute l'émergence des pays asiatiques. Les patrons des entreprises de textile et cuirs se retrouvent ainsi coincés entre le marteau des licenciements de travailleurs qui ne savent où aller et l'enclume de la réalité du marché. " Nous ne voulons pas être les fossoyeurs de ces entreprises, nous voulons aller vers le positif, pourvu que l'Etat nous écoute ", plaide M. Zaouidi, directeur du groupe Leather industry. Il estime néanmoins qu'il ne faudrait pas lancer des plans de redressements qui se révéleraient à la longue des " vœux pieux ". Il faut dire que partout où l'ouragan des produits chinois est passé, il a tout dévasté derrière lui. " Qui aurait cru un jour que de grandes marques françaises et espagnoles viendraient à disparaître à cause de la concurrence chinoise ", s'interroge l'un des responsables du groupe Leather industry. En Algérie, le marché de la friperie et l'ogre chinois n'ont fait de nos entreprises qu'une bouchée. Les responsables des groupes de textiles et cuirs regrettent que l'Algérie n'ait, jusqu'à l'heure, aucune vision industrielle. " Il y a aujourd'hui une absence totale de politique industrielle. La situation est telle que ni l'entreprise, ni le groupe ni la SGP ne peuvent y faire face. L'Etat doit prendre une décision. Sinon, on va faire perdurer une situation floue ", affirme M. Zaouidi. L'Etat s'est, d'après notre interlocuteur, complètement désengagé, laissant ces entreprises livrées à elles même. Désorientées par un passage brutal d'une économie socialiste à une économie de marché. Aujourd'hui, aucune entreprise nationale n'est réellement prête à affronter les géants étrangers. " Sur une vingtaine d'entreprise, nous en avons deux ou trois qui paraissent saines ", nous explique M. Zaouidi. En bref, résume-t-il, " nous gérons l'ingérable ! ". Et les choses ne s'arrangent guère avec l'application de l'accord d'association avec l'Union européenne et la prochaine adhésion à l'Organisation mondiale de commerce (Omc). De nombreuses entreprises ne doivent leur survie aujourd'hui qu'à la vigilance de l'Etat, qui oblige les institutions nationales (police, gendarmerie, hôpitaux, pompier, douanes...) à acheter leurs uniformes auprès des entreprises nationales. Une disposition qui ne sera plus de rigueur une fois que l'Algérie aura adhéré à l'OMC. " Ce sera une mise à mort de nos entreprises ", estime le responsable du groupe de cuirs. Au cours de notre visite au siège du groupe de cuirs (Leather industry) et de textile (Texmaco) se tenait une réunion regroupant les syndicalistes (UGTA), les gestionnaires et des membres de la Société de gestion des participations (SGP). Les syndicalistes profitent de notre présence pour vider ce qu'ils ont sur le cœur : " Les pouvoirs publics, entonne l'un d'entre eux, doivent écouter les opérateurs publics. A l'heure où l'on parle de relance, on devrait faire un plan pour les entreprises. Nous refusons catégoriquement de discuter de la fermeture de nos usines ". Et à un autre d'enchaîner : " le redémarrage de l'activité du textile et du cuir se fera lorsque l'Etat obligera les importateurs à payer les impôts et à déclarer leurs employés. Un grand potentiel humain et matériel est marginalisé". Lors des réunions qui se sont tenues récemment entre des responsables de l'UGTA, les SGP, le MPPI, le ministère du Travail et celui de la Solidarité nationale, il a été convenu que s'il devait y avoir des dissolutions d'entreprises, les travailleurs sortiraient " la tête haute ". Nombreux sont ceux qui, après des mois sans salaires, ne croient plus à une résurrection de leur entreprise. Ils demandent uniquement, nous disent les patrons des groupes industriels, à récupérer les arriérés de salaires et les indemnisations. C'est ainsi que des milliers de travailleurs se retrouvent sacrifiés ,faute d'une stratégie économique .