Rencontre avec une étoile de l'opéra mondial et découverte d'une personne simple et attachante. - Votre concert à Alger comporte des extraits d'œuvres de Puccini, Mascagni, Bellini et un hommage particulier à Verdi. Pourquoi en avoir exclu «L'Italienne à Alger» de Rossini, ce que vous êtes ces jours-ci ?
La raison en est que la cantatrice de cet opéra doit être une mezzo-soprano. Or, je suis soprano*. Cela dit, on peut tout faire mais, dans le cadre de ce concert, on a choisi les mélodies et les airs d'opéra les plus connus, disons les plus populaires dans le monde ou les plus canoniques. Maintenant, si l'on devait représenter l'œuvre entière de «L'Italienne à Alger», il me serait possible d'interpréter le rôle féminin principal car il existe des transcriptions musicales qui l'ont adapté pour un registre de soprano. Mais, nous n'avons pas dit notre dernier mot là-dessus. On peut envisager ici des projets avec cette œuvre... Oui, ce serait beau, l'Italienne doublement présente à Alger, le personnage et l'interprète. Pourquoi pas ?
- Que signifie pour vous, artistiquement et humainement, le fait de venir chanter en Algérie avec l'Orchestre symphonique algérien sous la direction du maestro Francesco Di Mauro ?
Quand un artiste choisit sa profession, c'est par amour. Donc, cette vocation et ces transports d'amour pour l'opéra et ses œuvres donnent à l'artiste une responsabilité et un devoir. Il ne doit pas penser seulement à ses intérêts d'exhibition, à sa carrière artistique. L'artiste des arts lyriques doit être aussi un ambassadeur, un divulgateur de ce patrimoine qui appartient à l'Italie mais également au monde entier, dans un esprit véritablement universel. Et c'est tout à fait dans cet esprit que j'ai accepté cette belle invitation à venir chanter à Alger, un esprit que l'on retrouve dans tous les arts et qui est ouvert à l'ensemble de l'humanité.
- En 2013, l'Italie et le monde entier célébreront le bicentenaire de la naissance du grand compositeur, Verdi. Que représente cet événement pour vous ?
J'adore Verdi. Quand un chanteur d'opéra travaille une œuvre de Verdi, je dirais, en exagérant un peu les choses, qu'il n'a presque pas besoin de lire le texte et de travailler la personnalité de son rôle, car la musique de ce compositeur est si précise, si sensible et si adaptée au rôle que chacun de ses morceaux porte lui-même toutes les caractéristiques et les significations affectives de ce rôle. Cet événement sera surtout une façon de le remercier, car il est toujours célébré, tout au long des années, et n'a pas besoin d'être connu et reconnu. On doit plutôt voir ce bicentenaire comme une fête, une simple manière de dire : «Bon anniversaire, Verdi !» Tout au long de cette année, j'ai plusieurs engagements pour des concerts ou des rencontres liées à ce moment particulier de convivialité autour de ce grand compositeur et de son œuvre.
- On situe la naissance de l'opéra à Florence au XVIIe siècle. Comment expliquez-vous qu'il soit encore aussi vivant au XXIe siècle ?
C'est comme pour toute sorte de beauté. On ne peut pas oublier le Colisée, la statue de la Vénus de Milo, etc. L'art lyrique est dans notre ADN. L'opéra résiste au temps, car il est véritablement populaire. Il est né pour le peuple. Par le passé, beaucoup d'opéras ont été représentés dans des théâtres populaires. Même si les origines de cet art sont aristocratiques car il était fait pour des élites fermées qui avaient le pouvoir et les moyens financiers, les rôles des protagonistes, eux, sont liés au peuple. De plus, le chant appartient à tout le monde. Quand un enfant vient au monde, sa première expression est un cri, un son, une sorte de chant, et non un mot. Enfin, j'ajouterai que l'opéra est un art qui regroupe tous les arts. Il mêle le chant lyrique, le théâtre, les décors, les costumes… La diversité des arts, des métiers et des talents qu'il utilise le montre bien. Même le cinéma a emprunté à l'opéra les principes et les méthodes de sa mise en scène. C'est donc pour de nombreuses raisons qu'il reste aujourd'hui vivant et que ses publics s'élargissent.
- Vous avez joué et chanté avec les plus grands noms du genre, notamment Luciano Pavarotti. Quel souvenir gardez-vous de lui ?
C'était quelqu'un de très fin et de psychologue, car il comprenait tout de suite la particularité humaine et artistique des personnes avec lesquelles il devait travailler. Il aimait son travail, la musique, les personnes. Il aimait les femmes et la vie. Il était passionné par son art et toujours aussi enthousiaste. C'était aussi quelqu'un de joyeux, d'ouvert, je dirais quelqu'un de solaire. Ce fut une émotion inoubliable de le connaître, de le côtoyer et de travailler avec lui.
- Parlez-nous de vos expériences dans la musique pop et rock. Qu'est-ce qui vous a amenée à lesentreprendre ? Des complicités musicales ? Un désir de découverte ? De l'amusement ?
Effectivement, j'ai mené ces expériences, mais toujours en tant que cantatrice d'opéra. J'ai apporté ma contribution musicale à quelques projets de musique moderne. J'ai participé notamment à une émission de la chaîne de télévision, RAI 2, pour le concert de Noël où j'ai interprété un remake des chansons du célèbre groupe, Queen. Le leader de ce groupe, Freddie Mercury, aimait beaucoup l'art lyrique. Il avait même collaboré avec la cantatrice espagnole Monserrat Caballé. J'avais donc trouvé un chemin tracé sur cette voie. Et, de plus, c'était une expérience intéressante de jouer avec des musiciens d'un autre univers. Mais, pour moi, ce qui m'intéressait particulièrement, c'était de porter l'art lyrique vers des lieux qui ne sont pas réputés l'accueillir, c'est-à-dire en-dehors des lieux sacrés de l'opéra. J'ai toujours cherché à porter la voix de l'opéra dans des lieux différents comme le Festival de cinéma Capri-Hollywood où j'ai reçu un prix après avoir chanté devant toutes les stars du cinéma mondial qui ne s'attendaient pas à écouter de l'opéra. L'actrice Ornella Muti m'a fait un bel hommage en me disant : «Je n'aime pas l'art lyrique, mais votre chant m'a ravie». Je sens comme une responsabilité le fait d'emmener l'art lyrique là où il ne se trouve pas d'habitude.
- Depuis au moins deux décennies, le concept de la musique world s'est déployé dans le monde. Y voyez-vous un simple effet de la mondialisation culturelle ou autre chose ?
La musique world ? Je crains de ne pas comprendre… Disons la world music. Ce genre qui se veut une rencontre ou un mélange moderne de toutes les musiques du monde… Ah ! Il est sûr que la globalisation y est pour quelque chose. C'est inévitable dans un monde où tout est connecté d'un bout à l'autre de la planète et où les musiques traversent les plus grandes distances à toute vitesse. Si tout cela naît d'une exigence que l'homme veut exprimer, je ne peux me prononcer contre. Pour l'instant, je suis spectatrice. Je me contente d'écouter et d'observer. Je ne suis pas là pour juger et encore moins censurer.
- Vous êtes membre d'un nombre impressionnant d'associations et fondations artistiques, culturelles, caritatives, y compris d'aide aux victimes de la maffia… Comment trouvez-vous le temps de vous y consacrer ?
Tout est question de tempo. De la même manière que le corps humain a besoin de soins, la partie sociale de l'humanité doit toujours être soignée. Je suis intéressée par ces aspects et je me considère impliquée par toutes les questions humaines. Je participe à la Ligue contre le cancer, aux Téléthons contre les myopathies et, en effet, à bien d'autres causes. Bien sûr, il faut trouver le temps de s'y consacrer. Mais l'image de l'artiste doit profiter aux autres. La mettre à la disposition d'une cause humanitaire permet à cette cause de bénéficier de la notoriété de l'artiste. C'est un devoir. Rien de plus.
- Je vous interviewe avant vos concerts d'Alger et de Tlemcen. Comment imaginez-vous leurs publics ? En professionnelle que vous êtes, vous vous êtes sûrement renseignée...
Franchement, non. Bien sûr, je me suis préparée artistiquement et je sais que je pourrai compter sur la direction du maestro Francesco Di Mauro et sur l'engagement des musiciens de l'Orchestre symphonique algérien. Mais pour le public, eh bien, on va se découvrir mutuellement. Pour moi, toute rencontre avec un public est une rencontre d'amour et j'en suis d'avance heureuse.A. F. * Soprano : voix féminine ou d'enfant dont la tessiture (ensemble des notes qu'une voix peut émettre de façon homogène) se situe au-dessus des autres (ténors, altos, barytons). Mezzo-soprano ou, en italien, «à moitié soprano» : voix féminine se situant entre le soprano et l'alto. Avec nos remerciements chaleureux à Mme Maria Battaglia, directrice de l'Institut culturel italien à Alger, qui s'est dévouée en tant qu'interprète.