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«Il faut faire connaître la création artistique de Béjaïa du Moyen-Age»
Djamil Aïssani. Universitaire et président de l'association Gehimab de Béjaïa
Publié dans El Watan le 11 - 11 - 2012

Djamil Aïssani est président de l'association Gehimab (Groupe d'études sur l'histoire des mathématiques à Bougie médiévale) de
Béjaïa. Il est également responsable du laboratoire de recherche Lamos (optimisation des systèmes) de l'université de Béjaïa. Il organise cette semaine la célébration du 115e anniversaire du séjour à Béjaïa de Louis de Habsbourg, archiduc d'Autriche. Gehimab célèbre cette
année ses vingt ans d'activités.
-Pourquoi cet intérêt pour Louis Salvator de Habsbourg ?
Louis de Habsbourg était venu à Béjaïa en 1897 pour y rester quelques mois. Il avait réalisé une trentaine d'illustrations sur des sites de cette ville et sa région, qui ont été publiées dans le livre Bougie, la perle de l'Afrique du Nord. Actuellement, aux îles Baléares, à Prague et à Vienne, on célèbre le centenaire de la mort de Habsbourg. Ils ont construit un yacht qui s'appelle La Nixe III, lequel va refaire son parcours en Méditerranée. Le yacht arrivera au port de Béjaïa le lundi 12 novembre. Le 14 novembre, des conférences seront présentées dans la matinée au théâtre Abdelmalek Bougourmouh de Béjaïa. Elle seront notamment animées par les Espagnols Carlo V. Grignalo et Juan Ramis, l'Autrichienne Helga Schwendinger, le Français Yves Bodeur, et l'Algérien Ahcène Abdelfettah. Nous allons aussi faire le vernissage de l'exposition «Ludwig Salvatore von Habsburg, Toskana à Bougie : gravures et témoignages».
Nous avons identifié les endroits à partir desquels il avait réalisé les illustrations et où nous avons pris des photos permettant de faire une comparaison. Un circuit pédestre et maritime sera organisé vers les lieux où ces illustrations avaient été faites et vers les lieux de pèlerinage décrits par l'archiduc, comme Sebaâ oua achrin, Sid Abdel-Haq, Sidi M'hand Amoqrane et Sidi Aïssa. Les artistes peintres vont réaliser des œuvres sur les endroits dessinés par Habsbourg. Edité à Prague en langue allemande en 1899, Bougie, la perle de l'Afrique du Nord est considéré comme le premier guide touristique sur Béjaïa et sa région. A l'occasion du centenaire de sa première parution, ce livre a été traduit et édité par l'Harmattan à Paris en 1999 (traduction assurée par Viviane Jambert).
Actuellement au square Pasteur à Béjaïa, il y a un bronze important qui s'appelle «Le zéphyr». C'est grâce au livre de l'archiduc qu'on sait pourquoi ce bronze avait été acquis par la mairie de Béjaïa et comment il avait été valorisé. L'archiduc avait été frappé par la foi musulmane. Il était là durant le Ramadhan de 1897 et avait décrit l'arrivée des pèlerins qui venaient à l'époque à Béjaïa.
-Vous faites aussi un plaidoyer pour faire connaître la création artistique à Béjaïa depuis les anciens temps…
Oui. Il faut faire connaître la création artistique de Béjaïa du Moyen-Age. A la faveur de la célébration de l'Année mondiale des mathématiques, en 2000, nous avions commencé la préparation de la pièce de théâtre pour jeune public sur Léonardo Fibonaci à Béjaïa (mathématicien italien, Léonardo de Pise ou Lénorado Fibonaci, né en 1175, avait étudié à Béjaïa avant de voyager en Méditerranée, ndlr). Pour cela, nous avions eu le parrainage des commissions algérienne et italienne de l'Unesco. Un comité d'écriture a été constitué aux fins de mettre en avant les éléments qui devaient constituer le décor du spectacle. Nous voulions savoir quelles étaient les musiques et les couleurs dominantes du Moyen-Age.
Nous avons voulu reconstituer le port de Béjaïa de l'époque et cherché des descriptions et des images du XIIe siècle. Nous avons découvert une iconographie exceptionnelle de la ville de Béjaïa, notamment en rapport avec le XVIe siècle, avec Raymond Lulle (philosophe et théologien catalan), des illustrations en rapport avec l'Italie et surtout le XIXe siècle avec des peintres tels qu'Albert Marquet (peintre post-impressionniste français), etc. Nous avons retrouvé toutes les toiles de maîtres faites sur Béjaïa et qui sont dans les plus grands musées du monde, comme le Metropolitain Museum à New York, à l'Hermitage de Saint-Pétersbourg, au Centre
Pompidou à Paris. En 2002, nous avons organisé une exposition intitulée «Béjaïa, le port, le golfe, l'arrière-pays, regard artistique à travers les siècles». Tout cela grâce à la recherche faite pour les besoins de la pièce sur Fibonaci, qui été finalement présentée en 2007 à la faveur de la manifestation «Alger, capitale de la culture arabe». A l'époque, nous avons pu avoir un financement du ministère de la Culture. Des sponsors nous ont aidés aussi...
-Ne faut-il pas créer un espace ou une institution pour restituer toute cette époque, cette histoire riche de la région de Béjaïa ?
Grâce au travail fait sur la pièce de Fibonaci, nous avons découvert qu'en 1962 il y avait une galerie de réputation mondiale. La galerie de peinture et des arts graphiques d'Emile Aubry (peintre français né à Sétif vers 1880, ndlr) qui était au niveau de la rampe du port de Béjaïa. Cette galerie avait été fermée en 1970 par un maire, lequel avait offert l'espace à des jeunes pour pratiquer le karaté. Il avait pris les toiles et les avait mises dans une cave ! Il s'agit bien de toiles de maîtres. Emile Aubry était le président de l'Académie de peinture et des arts de l'époque. Il avait offert au musée une quarantaine de grandes toiles valant des millions de dollars. C'était lui qui avait conçu le décor de l'ancien Opéra d'Alger. Dans cette galerie, il y avait le tableau «La dame en noir», primé de la médaille d'or à Rome en 1920.
Une nièce d'Emile Aubry a écrit un livre biographique sur son oncle, dans lequel elle évoquait certaines toiles en précisant «collection X». Elle ignorait que ces toiles étaient ici à Béjaïa (...). La galerie avait bénéficié du jumelage entre Béjaïa et Bordeaux. Dans sa collection, il y avait notamment une peinture, «La danseuse», de Lucien Fontanarosa (peintre et lithographe français d'origine italienne, connu pour avoir notamment illustré les livres d'André Gide, Saint-Exupéry et Zola, ndlr). Une fondation porte son nom actuellement à Paris. C'était lui qui avait fait les illustrations des anciens billets de banque de 500 et de 200 francs (le fameux Pascal).
Nous avons écrit à la fondation pour les informer de l'existence de cette toile. Ils ne nous ont pas cru. Nous leur avions envoyé alors un cliché. Ils ont été sidérés. La toile était bel et bien de Fontanarosa. Elle est toujours là. Avec la circonscription archéologique de Béjaïa et le Musée de la ville, nous avons décidé de réhabiliter la galerie. Il nous faut juste un espace puisque la collection est là. Elle est répertoriée à l'échelle internationale. C'est donc à cause de cela que nous avons fait ce plaidoyer.


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