De notre correspondant à Béjaïa Kamel Amghar Au cours d'une tentative de reconstitution de l'hinterland de Béjaïa, à l'époque médiévale, pour les besoins d'une pièce de théâtre pour enfants qui traite du séjour du mathématicien italien, Leonardo Fibonaci, dans la capitale des Hammadides, l'association Gehimab et ses partenaires ont localisé à travers le monde des centaines d'œuvres se rapportant à ce sujet. Des peintures, des gravures, des plans anciens, des traités de paix, des parchemins et des objets de la vie courante ont été répertoriés dans les plus grands musées à New York, Saint-Pétersbourg, Versailles, Bruxelles, Moscou ou Paris. Un trésor culturel d'une grande valeur qui orne aujourd'hui encore les collections de grandes institutions comme le Metropolitan Museum, l'Hermitage, le Musée du Palais ou la Bibliothèque impériale de Paris. Pour l'essentiel, tous ces biens à forte charge historique et patrimoniale ont été emportés comme butins par les différentes forces d'occupation, notamment sous la colonisation française qui était relativement longue, ou «exportés» frauduleusement par les trafiquants de tout poil avant et après l'indépendance. Evidemment, il est dans la nature même de la colonisation d'engendrer l'acculturation et d'œuvrer à l'aliénation des valeurs qui constituent l'âme des peuples soumis. Le spectacle barbare du pillage des grands musées de Baghdad, à l'entrée des troupes américaines dans la capitale irakienne en 2003, reste toujours vivace dans les esprits pour rappeler cette vérité monumentale. La colonisation française –plus que toute autre, sans doute– a agi sournoisement sur ce registre et situé son action sur le long terme. Que cela soit en Algérie ou ailleurs, la France impériale s'est toujours employée à imposer un contrôle, total et entier, sur les champs artistiques et culturels dans les contrées qu'elle a occupées. Depuis le débarquement de 1830, l'administration occupante n'a pas cessé un instant d'agir dans le sens de l'effacement des repères civilisationnels authentiques du peuple algérien. Tous les artistes «autochtones» ont été réduits à l'errance. Poètes, chanteurs, ulémas, écrivains, conteurs, peintres ou miniaturistes, l'élite intellectuelle locale était marginalisée et ses œuvres réduites au silence. Les écoles traditionnelles ont été fermées et les savoirs séculaires qu'on y enseignait livrés aux quatre vents. Une nouvelle école «civilisatrice» s'est substituée à l'ancienne pour apprendre aux «petits indigènes» les exploits glorieux de leurs «ancêtres les Gaulois». L'analphabétisme bilingue et l'ignorance ont été sciemment propagés pour atteindre le peuple algérien dans ce qui fait sa personnalité. Cette approche profondément asservissante a été entamée avec le pillage systématique des trésors de la régence d'Alger au lendemain du débarquement maudit de Sidi Fredj. Les palais luxueux du dey Hussein, au même titre que ceux des beys d'Oran et de Constantine, ont été dépouillés dans les premiers mois qui ont suivi l'occupation. Des tonnes de biens culturels inestimables, œuvres d'art en or massif, pièces de monnaie de différents métaux précieux ont été acheminés par bateaux entiers en direction de l'hexagone. Pierre Péan, Marcel Emerit et Amar Hamdine, qui ont longuement enquêté sur ce sujet, soulignent que les plus grandes fortunes de France ont toutes touché une part de cet extraordinaire magot. Une rapine méthodique qui rappelle celle des conquistadors espagnols lors de la prise d'Oran et de Béjaïa au milieu du 16e siècle. Après 132 ans de razzias, les forces coloniales, défaites et sur le point de départ, mettent le feu à la bibliothèque universitaire d'Alger, un certain 7 juin 1962. Ultime forfait qui témoigne de cette volonté coloniale d'abrutir, d'abêtir et de tuer dans l'œuf le jeune Etat algérien. Un trésor de plus de 600 000 ouvrages de référence a été réduit en cendres en quelques heures. Brûler «la bibliothèque universitaire d'Alger, et par là l'Université, c'était priver un pays d'une partie de sa mémoire, c'était priver un pays au seuil de l'indépendance de l'instrument de culture et de savoir indispensable à la formation de ses cadres, afin de l'asservir encore plus. Pour les tenants de l'Algérie française, cela a un nom précis, et s'appelle «terre brûlée», témoigne l'historien Yves Courrière. Evoquer les crimes culturels du colonialisme est un devoir qui ne saurait se suffire d'un minuscule dossier de presse. Cela exige des recherches, des travaux académiques et des études approfondies sur les archives de cette époque qui demeurent pour l'essentiel, et à ce jour, entre les mains de l'ancienne puissance occupante.