Dernier week-end de campagne. Les candidats en lice effectuent leur ultime sprint. Ont-ils réussi à «se vendre» aux électeurs ? Le verdict du 29 nous le dira. En attendant, il serait utile de revenir sur la manière dont ils ont géré leur image. Un bilan, en l'occurrence, s'impose : qu'est-ce qui aura marqué ces municipales en termes de marketing politique ? Dans cette enquête, nous nous sommes intéressés particulièrement aux aspects visuels de la campagne, avec un zoom sur la communication politique véhiculée par les affiches des candidats comme principal support d'image. Eléments de décryptage. Cacophonie visuelle. Première image qui frappe le regard : l'impression de cacophonie visuelle qui a caractérisé cette campagne. Et cela se comprend dans la mesure où une campagne pour des élections locales est celle qui mobilise le plus de candidats. Conséquence : des visages à profusion. A Alger comme dans les grandes villes, les affiches ont largement débordé l'espace réglementaire qui leur est imparti en usant et abusant de l'affichage sauvage, au point de saturer le paysage urbain. On le voit d'emblée : la plupart de ces affiches sont peu attractives et pèchent par leur amateurisme et leur affreux manque d'imagination. «Ces affiches me donnent envie de tout, sauf de voter», résume un architecte. Il saute aux yeux que les partis engagés dans la bataille, dans leur très grande majorité, n'ont pas jugé utile de faire appel à des communicants et autres concepteurs visuels. D'aucuns avancent l'argument économique pour justifier cet excès d'improvisation. Pourtant, un simple étudiant aux Beaux-Arts aurait fait l'affaire. Les jeunes designers freelance et autres infographes de talent qui ne demandent qu'à travailler, ce n'est pas ce qui manque. Résultat des courses : des affiches kitschissimes, complètement illisibles, avec, en gros, la même morphologie : portraits statiques, couleurs vives, symbolisme naïf, slogans «bateau», abus des références nationalistes, graphisme austère, négligence de l'aspect esthétique… Bref, elles ne nous font pas rêver. Elle transmettent peu d'émotion et trahissent toutes, peu ou prou, l'absence d'une charte visuelle. Des portraits «wanted». 90% des affiches pâtissent des mêmes faiblesses : des portraits franchement ratés du point de vue technique. Ils se déclinent quasiment tous sous le même format : des photos d'identité pour les «colistiers», avec gros plan sur le «tête de liste» et, en médaillon, le chef du parti, le gourou ou le leader charismatique apportant sa caution à ses ouailles. Peu de portraits dynamiques. Les images ne sont même pas revues par Photoshop. Certains portraits donnent à voir des visages crispés. La pose est souvent mariale ou trop solennelle. Certains ont carrément des têtes de «prisonnier». Les candidats jouent peu de leur potentiel séduction. La lumière est trop crue ou trop fade. Pas de travail studio. Pas de séances «shooting» avec un photographe professionnel, ne serait-ce que pour les têtes d'affiche. Ce que disent les slogans . Côté slogans, il convient de noter que plusieurs partis ont opté pour une stratégie narrative qui consiste à choisir un même slogan pour l'ensemble des listes, quelle que soit la commune, ce que recommandent les spécialistes. Ainsi, sur le fronton de son siège de la rue Didouche Mourad, le RCD arbore une affiche géante avec ce slogan : «Pour une gestion transparente et solidaire». Pour le PT, ce sera «Pour immuniser la nation». Il y avait déjà cette métaphore de l'immunité dans la campagne présidentielle de Louisa Hanoune de 2009 dont le slogan était : «Parce que la souveraineté populaire est une immunité pour la souveraineté nationale, la parole est au peuple». Le Mouvement populaire algérien (MPA) de Amara Benyounès, lui, décline un «Rabiôuna djazaïri» (uniquement en arabe, traduisible par : notre printemps est algérien) qui fait clairement référence aux Printemps arabes, mais pour dire que le changement passe par les urnes. Le FFS, lui, réaffirme son attachement au changement pacifique avec un «Mobilisation pacifique, lucidité et engagement citoyen». Le RND, lui, entonne : «Développement local = Progrès social et stabilité». Toutefois, nous avons noté que ce slogan n'est pas systématiquement repris sur toutes les listes. Le MSP décline sobrement un «Ensemble… pour un avenir meilleur» en gras et, en dessous, ces trois mots : «Propreté, développement, confort». La coalition Alger la Blanche propose, elle, un slogan en forme de jeu de mots : « Nahnou noughayyir wala nataghayyer» (nous changerons les choses tout en restant constants). El Fedjr El Jadid propose deux valeurs : «Sincérité et réalisme», tandis qu'Ennahda opte pour un laconique «L'espoir recommencé». Le FNA de Moussa Touati use, quant à lui, d'un «Réhabiliter l'élu du peuple», alors que le parti El Moustakbal suggère, pour sa part, un slogan chantonnant : «Andjaza hourroune ma ouaâd» (un homme libre tient toujours parole). Des listes se distinguent, enfin, par leur remarquable sobriété et une affiche dépouillée. La palme, de ce point de vue, revient à la liste du parti El Badil pour la commune de Belouizdad, qui n'arbore ni slogan tonitruant ni même le nom du candidat dont l'effigie occupe toute l'affiche. Juste ces mots : «Intakhibou harf lam» (votez pour la lettre «L»). Le forcing du FLN. Le parti de Belkhadem se sera distingué dans cette campagne par un florilège d'affiches qui laissent le sentiment d'une campagne débridée au message dispersé. La moitié des affiches placardées à Alger sont estampillées FLN, chacune avec des couleurs, des visages, des slogans différents. Outre celles réservées aux listes électorales proprement dites, l'ex-parti unique a opté pour des affiches focalisées uniquement sur un chiffre, le «22», avec des contenus changeants. Ces affiches, à forte charge nationaliste comme on peut l'imaginer, allient des symboles qui résonnent avec le fonds mémoriel de la Guerre de Libération nationale, et d'autres censés célébrer les «acquis» de l'Algérie indépendante. Comme cette affiche que l'on voit un peu partout, aux accents folkloriques, montrant, sur des dégradés de vert, une carte de l'Algérie portant l'inscription «élections du 29 novembre» autour de laquelle vient s'agglutiner une panoplie d'images représentant un métro, un microscope, une plume d'oie, un homme avec un casque, un satellite et un bout de tronçon d'autoroute. Cela rappelle étrange le fameux logo (tant décrié) du Cinquantenaire conçu exactement dans le même esprit. Cette pléthore d'affiches, disions-nous, est caractérisée par un éclatement des slogans. La liste de Sidi M'hamed dirigée par le maire sortant, Mokhtar Bourouina, arbore ce slogan : «Continuité et modernité par la volonté des enfants de Sidi M'hamed». A côté, on peut apercevoir une autre affiche du même parti, à l'effigie du secrétaire général du FLN, brandissant ce slogan : «Ensemble pour une Algérie stable et prospère». Sur un autre support, ce message : «Avec le FLN, vivez la liberté et la justice sociale». Belkhadem candidat ? Autre fait marquant dans les affiches de la première force politique du pays : la redondance de l'icône Belkhadem. Sa bobine est quasiment sur toutes les affiches et dans différentes postures. Sur telle affiche on le voit sourire en faisant un large geste de la main, avec, en arrière-plan, le drapeau national et une vue panoramique d'Alger. On note que le bras droit qu'il lève pour saluer tient une colombe blanche. Sur une autre pancarte, il affiche toujours le même large sourire, vêtu d'un costard crème et glissant son bulletin «22» dans l'urne, avec, en toile de fond, Makam Echahid. L'ombre de Belkhadem est à ce point omniprésente que l'on a l'impression que c'est lui-même qui va se présenter. A Bab El Oued, sur le panneau attenant à la place El Kettani, il n'y a qu'une seule affiche : celle de Belkhadem, placardée brutalement sur les autres listes. Le patron du FLN a fini par le payer cher : sur le panneau faisant face à la plage R'mila, sa face est copieusement badigeonnée d'une peinture de couleur excrémentielle. Où est passé Ouyahia ? Si Belkhadem est partout, en revanche, le guide suprême du RND, Ahmed Ouyahia, récemment débarqué du gouvernement, a totalement disparu du paysage. Alors que tous les candidats affiliés à des partis politiques mettent systématiquement sur leur affiche, en gros plan ou en médaillon, le portrait de leur «big boss», rien de tel dans les listes RND. Dans toutes les communes d'Alger que nous avons sillonnées, aucune trace de lui.C'est d'ailleurs l'un des enseignements-clés de cette campagne. Même s'il continue à animer les meetings, Ouyahia semble déjà sacrifié, comme pour éviter à ses lieutenants une débâcle électorale. Même dans les permanences du parti que nous avons visitées, il est rare de trouver un poster à son effigie. A la place, c'est le portrait de Bouteflika qui sert de patriarche.