Belcourt-Bab El Oued. L'axe le plus animé de la capitale. Un parcours qui nous permettra de mesurer l'emprise de l'événement électoral du moment sur les Algérois, ces électeurs réputés retors. Difficiles. Alger, rappelle-t-on, avait fait un taux de participation de 31,87% aux législatives de 2002 pour un taux national de 46%, le plus faible depuis l'indépendance. Le score sera-t-il meilleur le 17 mai prochain ? Rien n'est moins sûr. La pertinence de l'événement en termes de « visibilité urbaine » est plus que sujette à caution. Démonstration. Rue Didouche Mourad. Une grosse affiche est déployée sur le fronton du cinéma l'Algeria. Elle n'est ni à l'effigie de Belkhadem ni à celle de Ouyahia. Elle arbore une bouille nettement plus populaire : celle du comédien Kamel Bouâkkaz. Oui. Le comédien trublion fait son cinéma. Plutôt son one man show, un spectacle intitulé En-Naoûra, où il est question justement d'une élection, celle de la section syndicale d'une société nationale. Prétexte pour l'artiste de brosser un florilège de portraits non sans égratigner au passage nos chers politicards avec force caricatures. D'autres affiches du spectacle sont placardées un peu partout, doublant celles de l'administration. Pour un visiteur qui débarque à Alger, Kamel Bouâkkaz passerait pour le seul candidat en lice. Sur les murs, on peut apercevoir également d'autres affiches. Apolitiques. Comme cette annonce du prochain bal de l'INC (Institut national de commerce). Sinon, une indifférence criarde sourde de la rue . « On dirait un match sans public », commente un jeune, faisant écho à cette boutade d'Amazigh Kateb : « L'Algérie est un match inamical. » Grande Poste. Un camion publicitaire trône au milieu de la place principale qui surplombe la baie. Sur un écran : Tom et Jerry, l'indémodable dessin animé. Une foule de chômeurs, de SDF et autres cohortes de sans-grades, de sans-voix, prennent place sur les gradins de la sortie d'un métro imaginaire. Derrière eux, deux partis : le bureau d'Alger du RND et la kasma d'Alger-Centre du FLN. Le peuple préfère Tom et Jerry. Bled Mickey. Au-delà de la caricature, il s'agit bien plus que d'une simple image. Une fracture. « Parlez du lait ! » Loin de se bousculer autour des quelques officines partisanes qui ponctuent l'espace urbain, les Algérois se précipitent plutôt vers les épiceries en quête d'un sachet de lait, des images qui nous renverront de plein fouet aux années de pénuries. « Le lait, voilà le vrai sujet dont il faut parler », lâche un citoyen, employé de banque de son état. Il n'est pas le seul. Au demeurant, la petite ménagère, c'est ce qui l'intéresse : le lait. « Nous sommes des sous-citoyens. Pourquoi voulez-vous qu'on vote ? », s'exclame une dame, employée dans une administration universitaire, avant de poursuivre : « Même à supposer que le candidat de notre choix obtienne un siège, que va-t-il concrètement changer à notre quotidien ? » Le quotidien. Un mot lourd. Exit le charivari électoral. La rupture est toute là, visible, tangible, entre les formations politiques et le citoyen lambda, celui qui se surprend à rêver, en 2007, d'une pochette de lait. La ville baigne dans une nonchalance sourde, et, si d'aventure, vous entendez le mot « élection », il est à prendre comme une ingérence de l'agenda tricolore dans la morosité politique nationale. « Les gens sont plus intéressés par les joutes entre Sarko et Ségo que par les élections qui se profilent », relève un jeune cadre. Par contre, les élections françaises semblent exercer une sorte de « brouillage », de parasitage sémantique, sur la prochaine consultation. Un petit micro-trottoir le révèle : « Les électeurs potentiels ne voient même pas l'enjeu du 17 mai. » Un observateur note : « On entend sans cesse polémiquer sur les listes. Mais moi, je n'ai rien à fichtre des listes. Moi, je vote sur la base d'un programme. Quel est ce parti qui a rendu public le sien ? » De fait, de notre virée à travers les partis, il nous a été donné de constater qu'aucune formation n'a jugé utile de « doter » ses permanences d'un minimum signalétique à même de la rendre « visible » et « lisible » aux yeux de la population. Animation zéro C'est un fait : la machine électorale démarre au diesel. En tout cas, à J-38 du scrutin, on est loin du show. Ambiance molle. Le package est dérisoire. Les partis ont un sérieux problème d'image et peinent à se vendre à l'opinion. Même l'Internet est peu investi, et rares sont les formations qui ont « injecté » leur programme sur le Web. « Il ne faut pas perdre de vue le poids de l'administration et l'emprise du pouvoir sur la société. Nos partis, s'ils pèchent par un défaut d'animation, c'est aussi parce qu'ils sont tenaillés par la sécurité militaire. Tous nos partis baignent dans une espèce de ‘'semi-clandestinité''. » Voilà pourquoi on ne peut pas parler de marketing politique. « Tu fais un t-shirt, on vient te ramasser », constate un militant des droits de l'homme. De son côté, Abdelmadjid Menacera, le numéro 2 du MSP, regrette que le pouvoir n'ait pas fait suffisamment de publicité à cette élection. « Il est à craindre un faible taux de participation en raison de cette tiédeur », a-t-il averti lors d'une récente visite à notre confrère El Khabar. Les appels à la mobilisation se résument à des spots à la qualité douteuse diffusés par l'ENTV ou sur les ondes de la radio, à la résonance d'un ordre d'appel. En termes de com', c'est le flop total. Les affiches officielles sont vandalisées sur tous les murs. Les tifosis parlent encore du dernier choc MCA-USMA. Leur parler d'élections revient quasiment à les insulter. A Belcourt, le seul candidat qui intéresse les jeunes c'est M. Lefkir, l'ancien président du CRB. Des pancartes placardées à l'entrée d'un café populaire l'exhortent à venir reprendre les rênes du club. Dans une kasma glauque du FLN Si côté rue, c'est, comme on le voit, un sentiment d'indifférence mâtiné de nihilisme qui prime, côté partis, on note tout de même certains soubresauts, quoique d'une manière tout à fait inégale d'une formation à l'autre. Le plus grand paradoxe, à ce propos, nous vient du FLN. Voilà donc un parti qui a raflé 199 sièges sur 386 à la dernière législature, et qui affiche une morosité inquiétante en termes de « présence urbaine ». Nous avons sillonné quasiment toutes les kasmas FLN de la capitale et quel ne fut notre étonnement de les trouver toutes dans un état lamentable. Rideaux baissés, locaux pourris, mode de communication archaïque, absence totale de signalétique en rapport avec l'événement, bref, le FLN semble ressentir jusque dans sa chair, dans ses murs, les derniers remous qui l'ont agité vu la manière peu orthodoxe avec laquelle il a confectionné ses listes. En faisant le tour de ses structures, on a le net sentiment que c'est un parti hermétique, totalement coupé de son environnement social. Nous avons tenté à plusieurs reprises de faire une « incursion » dans ses mouhafadhas. A la coordination des mouhafadhas d'Alger, place du 1er Mai, nous avons eu droit à la même ritournelle : « Repassez dans une heure. » Et quelle que soit l'heure à laquelle nous passions, il n'y avait pas un seul cadre du parti pour nous recevoir. L'appartement qui sert de bureau à ladite coordination de même que l'immeuble qui l'abrite font pitié. On a peine à croire qu'il s'agit bien du FLN : le parti le mieux nanti du pays. Après plusieurs rondes, nous réussissons enfin à « pénétrer » une « crypto » kasma : celle de Sidi M'hamed, plus grande kasma du FLN à Alger. Quatre militants y jouent aux dominos dans une ambiance glauque. L'un d'eux daigne nous gratifier de quelques mots sur l'événement du moment. Il reconnaît qu'un vent de fronde est passé par là également. « Nous comptons 500 militants. Nous avons présenté 22 candidats. Aucun d'eux n'a été retenu dans la liste finale », confie Lakhdar Menacer, responsable de l'organique. Cela a certainement suscité l'ire de la base, chose qu'il admet, avant de souligner : « Oui, mais il faut maintenant faire preuve de discipline. Nous allons tous nous mobiliser pour remporter cette élection. » Le RND touche du bois Au bureau du RND, sis près de la Grande-Poste, l'ambiance est nettement meilleure. La machine, ici, a l'air bien huilée sous la conduite de Chihab Seddik, le vice-président du Sénat. Autour d'un café amical, notre hôte nous dispense un véritable cours de sociologie politique sur les raisons de cette désaffection du public à l'égard de la chose politique en général et électorale en particulier. Pour lui, cet état de démobilisation est quelque chose de délibéré. Selon lui, cela a commencé par une triple manipulation : de l'histoire de la Révolution, de l'Islam et de la question identitaire. Chacune de ces manipulations a eu son lot de « dégâts politiques ». Développant une sorte de « théorie du complot », il estime que certaines parties, « un conglomérat de forces antinationales », ont tout fait pour « vider l'acte électoral de sa substance jusqu'à le banaliser », et ce, « afin de décrédibiliser tout ce qui émane de la volonté populaire ». Le but final d'une telle ent