Durant deux heures, les deux premiers personnages qui connaissent les planches sur le bout des doigts, étaient partis en quête d'un théâtre algérien à surveiller de près. Ils ont eu l'art de rendre l'abstrait concret pour, a affirmé Bouziane Ben Achour, prétendre restituer le climat passé et actuel du théâtre national. Pour y parvenir, il a extériorisé quinze années de vie dans le monde du théâtre en Algérie. Il en a redessiné les systèmes philosophiques qui traînent partout dans les versions exsangues et banalisées d'un théâtre algérien à la dérive. D'une certaine manière, Bouziane Ben Achour a appelé au retour des pièces théâtrales oubliées, des créateurs et comédiens influents délaissés et des réalisateurs marginalisés. Il a dressé, en quelque sorte, un composé de tous les courants fugaces, antagonistes et obsédants dans lequel a baigné et baigne toujours le théâtre national. Les rares participants ont palpité au contact de cette érudition exaltée de Bouziane Ben Achour et Ahmed Cheniki. Ce dernier ne mériterait pas mention s'il n'avait pas abordé certains segments de l'histoire du théâtre algérien où les qualificatifs médiocrité, incompétence et ignorance de la chose théâtrale ont été martelés. Cheniki en a parlé avec la pénétration d'un laser. Dans les propos du premier comme dans ceux du second, l'on a relevé la connaissance intime des sources du théâtre, la vigueur de la réflexion théâtrale, le style stimulant, concis, précis qui, selon eux, concourent à la résurrection de l'univers théâtral dans notre pays. Parfois acerbes mais ô combien logiques et parfois conciliants, les termes employés par l'un et l'autre n'étaient pas superflus pour nous guider dans la richesse, complexe, passionnée et souvent contradictoire de l'activité théâtrale. Lors de cette conférence-débat de Annaba, via une philosophie qui lui est propre, Bouziane Ben Achour a lancé un véritable réquisitoire de ces quinze dernières années. Il en est arrivé à revendiquer le devoir d'exprimer une multitude d'aspects de la problématique du monde théâtral en Algérie et de l'identité culturelle qu'il représente. Pour ce faire, il a présenté avec verve et sérieux le rachitisme dont sont atteints les animateurs du 4e art. Insoucieux de la cohérence de ses propos et des conséquences des théories qu'il développe, Cheniki a tracé un portrait plein de cruelle sympathie du théâtre au point de lui attirer les foudres de guerre de certains comédiens. Bouziane comme Cheniki sont d'accord sur le fait que le théâtre n'est pas un métier mais un bonheur qui se construit au jour le jour. C'est dire que pour une lueur d'espoir, comme l'a si bien décrit un dramaturge mexicain dans la lettre du théâtre 2006, cette conférence de Annaba en ce lundi 27 mars 2006 en était une. « L'ère du parti unique, du socialisme, des censures, celle de l'ouverture, de la démocratie, de la liberté d'expression, des générations passées, présentes et futures » tout a été souligné dans l'état des lieux du théâtre en Algérie dressé par Bouziane Ben Achour. Il n'a malheureusement fait qu'effleurer le théâtre antichambre de pouvoir les précédentes années, ses intrigues, ses angoisses, les ambitions cachées ou déclarées restées inassouvies, les jalousies et les prétentions des hommes et des femmes qui le composent. En cet après-midi de célébration de la Journée mondiale du théâtre et des retrouvailles inattendues, Bouziane et Cheniki ont exprimé leurs inquiétudes et leurs espoirs avec une remarquable maîtrise du sujet. « La vie théâtrale est un perpétuel examen. Ou on le réussit ou on le rate », semblait vouloir dire Ahmed Cheniki pour conclure ce rendez-vous après avoir préalablement abordé la question de la formation des hommes et des femmes de théâtre.