Alors que les manifestations anti-Morsi, menées par Mohamed El Baradei, l'ancien patron de l'Agence internationale à l'énergie atomique, se sont poursuivies pour la huitième journée consécutive, la commission constituante égyptienne a adopté, hier à 6h du matin, à la surprise générale, un projet de Constitution pour tourner définitivement la page de l'ère Moubarak. L'adoption en toute hâte de ce projet qui était enlisé depuis des mois survient, en effet, en pleine crise politique sur les pouvoirs présidentiels renforcés que M. Morsi s'est octroyés la semaine dernière. Les membres de cette commission, dominée par les islamistes (Frères musulmans et salafistes), ont voté les 234 articles qui leur étaient soumis au cours d'une séance marathon entamée jeudi après-midi, et qui s'est poursuivie toute la nuit. Le texte, adopté à l'unanimité selon le président de la commission, Hossam El Ghiriani, doit désormais être transmis au président Mohamed Morsi. Un référendum doit être par la suite organisé dans deux semaines afin que cette nouvelle loi fondamentale puisse remplacer celle abrogée après la chute de Hosni Moubarak, début 2011. Le projet de loi fondamentale veut donner à l'Egypte un cadre institutionnel reflétant les aspirations démocratiques et les changements issus de la révolte populaire qui a provoqué la chute de Hosni Moubarak en février 2011. Mais l'opposition libérale et laïque, de même que les églises chrétiennes coptes, ont boycotté les travaux de la commission, l'accusant de préparer un texte faisant la part belle au vu des islamistes dont est issu le président Morsi.Comme dans l'ancienne Constitution, le projet fait des «principes de la charia» la «source principale de la législation», une formulation assez consensuelle en Egypte, qui ne fait pas des préceptes de la loi islamique la source unique du droit. Mais d'autres articles faisant référence à la charia sont toutefois très décriés par les Coptes et l'opposition laïque, qui y voient une possibilité de renforcer la place de la loi islamique, en particulier dans ses interprétations les plus rigoristes. Aspect positif néanmoins : le projet prévoit de limiter la présidence à un mandat de quatre ans renouvelable une fois, alors que M. Moubarak avait dirigé le pays pendant trois décennies. La fonction de vice-président est également supprimée, les intérims étant assurés par le Premier ministre pour les empêchements temporaires et par le président de la Chambre des députés en cas de vacance de la présidence. Des satisfactions et des appréhensions Les anciens cadres dirigeants du parti de M. Moubarak, le Parti national démocrate, en fonction lors de la révolte contre son régime, ne peuvent par ailleurs plus se présenter aux élections présidentielles, législatives et municipales. Au plan des libertés de presse et syndicales, le projet de Constitution stipule aussi que les syndicats ne peuvent être dissous et les journaux ne peuvent être saisis ou suspendus, sauf sur décision de justice, ce qui constitue une avancée par rapport à la législation léguée par Hosni Moubarak. En revanche, un article très critiqué par les défenseurs des droits permet de traduire des civils devant des tribunaux militaires «en cas de crise de nature à nuire aux forces armées». «Le projet protège certains droits mais en sape d'autres», résume l'organisation Human Rights Watch dans un communiqué. En attendant de connaître le sort qui sera réservé à ce projet de Constitution, le bras de fer entre le président Mohammed Morsi, issu des Frères musulmans, et tous ceux qui s'opposent à lui, des juges à la société civile en passant par l'opposition «libérale» s'est, rappelle-t-on, durci mercredi dernier. Cet ensemble hétéroclite combat la «déclaration constitutionnelle» qui donne provisoirement des pouvoirs étendus au président. Ce dernier semblait, jeudi, vouloir sortir par le haut de cet affrontement en ayant fait accélérer la rédaction de la nouvelle Constitution. D'une pierre deux coups, la Commission constituante pourrait ainsi prendre de vitesse la Haute Cour constitutionnelle, juridiction suprême contrôlée par de hauts magistrats réputés hostiles aux islamistes, qui examine en ce moment un recours contre sa composition. Mais quel que soit le résultat de sa manœuvre, Morsi ressortira affaibli de ce bras de fer. Car au lieu de rassembler les Egyptiens, il les a plutôt divisés. La confrontation entre les pro-Morsi et l'opposition pourrait se déplacer bientôt sur le terrain avec les manifestations prévues aujourd'hui par les Frères musulmans et les salafistes. Et tout cela n'est pas de bon augure.