Ce ne sont pas de simples humeurs, ou de négociations serrées pour quelque privilège, mais une bataille pour le pouvoir, et sa durée tend à exacerber les rapports entre communautés irakiennes. Tout les oppose, et rien n'est laissé au hasard, les groupes politiques, tous ou presque ethniquement homogènes, savent que, quelque part, c'est le sort de leur communauté qui est en jeu, et encore plus quand il s'agit de postes de souveraineté, ce qui laisse très peu de place, sinon aucune à un compromis. Mais à l'inverse, de tels comportements rapprochent l'Irak du pire des scénarios, son éclatement en régions basées sur l'ethnie. Ce qui explique alors les appels à l'unité, au bon sens et au compromis, ce qui s'oppose au principe même de la démocratie ardemment défendue par les plus hautes autorités de la communauté chiite, numériquement la plus importante et qui a bénéficié d'un vote massif de ses membres à toutes les élections. Les négociateurs irakiens ont repris vendredi leurs tractations sur la formation, tant attendue, d'un gouvernement. Le nouveau round des négociations s'est tenu après une interruption de deux jours en raison d'un différend entre chiites et sunnites sur qui doit avoir la haute main sur les affaires de la sécurité. Mehdi Al Hafez, un négociateur de la liste de l'ancien Premier ministre Iyad Allaoui, un chiite laïque, a souligné l'urgence d'aboutir, en relevant l'« impatience de l'opinion publique irakienne ». Mais un responsable du parti Dawa du Premier ministre Ibrahim Al Jaâfari, Jawad Al Maliki, a fait état de la persistance du différend sur le détenteur du dossier sécuritaire, en déclarant qu'il devait relever dans un souci de centralisation du Premier ministre et non de l'un de ses adjoints comme le proposent les sunnites. Pressés de toutes parts pour doter le pays d'un exécutif capable de faire face aux violences, les dirigeants irakiens admettent que leurs tractations traînent en longueur, plus de trois mois après l'élection de leur Parlement qui n'a tenu qu'une séance inaugurale, le 16 mars. Des appels à un gouvernement se sont élevés dans certaines mosquées à l'occasion de la prière hebdomadaire du vendredi, marquées surtout par des prêches hostiles à l'ambassadeur américain Zalmay Khalilzad. « Le gouvernement doit expulser l'ambassadeur américain qui est un espion basé en Irak et qui n'hésite pas à se servir de ses forces spéciales pour assassiner des Irakiens comme on l'a vu dans la mosquée Al Moustapha » dimanche, a dit cheikh Hussein Al Assadi de la mouvance radicale chiite de Moqtada Sadr. Il s'exprimait lors d'un prêche réunissant sunnites et chiites dans ce lieu dans le nord-est de Baghdad. Les responsables chiites affirment que ce lieu a été visé par une opération américaine qui a fait au moins 16 tués chiites. Le religieux a en outre rendu les forces américaines responsables de « l'exécution de plusieurs Irakiens, dont les corps ont été jetés à Sadr City (le grand quartier chiite proche) pour attiser les tensions confessionnelles ». Le raid de dimanche a été lancé par des forces spéciales irakiennes sur les conseils des militaires américains, selon des responsables américains. Un autre leader de la mouvance de Moqtada Sadr a aussi vivement critiqué l'ambassadeur américain. « L'ambassadeur agit comme les talibans terroristes. Nous réclamons son départ », a dit cheikh Abdel Hadi Darraji. La secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice a d'ailleurs reconnu vendredi en Grande-Bretagne que les Etats-Unis avaient commis « des milliers » d'erreurs tactiques en Irak. Mais le propos doit être nuancé, car elle a aussitôt ajouté que l'invasion de l'Irak par les troupes américaines et britanniques en mars 2003 devait être jugée sur son objectif stratégique, à savoir le renversement du régime de Saddam Hussein, objectif qui a bien été atteint. Renverser Saddam Hussein était « la bonne décision stratégique » car « il serait impossible de construire un Proche-Orient différent avec Saddam Hussein au milieu », a-t-elle insisté. « Je sais que nous avons fait des erreurs tactiques, des milliers, j'en suis sûre », a déclaré Mme Rice. C'est ce qu'on appelle faire la distinction entre tactique et stratégie, et Mme Rice le fait si bien. Mais dans le même temps, elle développe une nouvelle argumentation, la démocratisation qui est loin d'être celle de 2002, avec ses armes” de destruction massive (ADM). Et même sur ce chapitre, les Etats-Unis se laissent battre par leurs alliés irakiens qui refusent l'idée de consensus national lui préférant, pour des raisons évidentes, le principe même de la majorité. Quelle solution alors pour l'Irak ?