Les manifestations anti-américaines se multiplient en Irak. Washington planche sur une nouvelle mouture de résolution. Les Irakiens ont manifesté bruyamment, pour ne point dire violemment, hier, leur ras-le-bol face à une situation qui se dégrade davantage chaque jour. Ainsi, la police irakienne a dû tirer sur les manifestants, en en blessant deux, pour calmer les esprits. Toutefois, alors même que la résistance à l'occupation américano-britannique se durcit, la population, jusqu'à présent dans l'expectative, commence à sortir de la longue torpeur où elle était plongée depuis la chute du régime de Saddam Hussein. En fait, depuis le 9 avril dernier, début de l'occupation du pays par la coalition, les Irakiens sont passé d'un extrême à l'autre. D'une société policée, sous la poigne de fer du parti Baâs, où la sécurité régnait sur tous les points du territoire, les Irakiens sont soudain passés à l'insécurité totale aggravée par l'anarchie et le chaos qui se sont installés dans le pays. Le crime d'une manière générale, le crime organisé plus particulièrement, en organisant la terreur ont fait main basse sur le pays où plus personne ne se trouve en sécurité, les troupes occupantes veillant d'abord à se protéger. C'est particulièrement l'image que renvoie aujourd'hui l'Irak, où il est patent que l'administration Bush a totalement échoué. La fermeté dont fait montre le président Bush et ses principaux collaborateurs, quant à la maîtrise de la situation en Irak, ne trompe personne et les demandes répétées de Washington pour une implication plus large de la communauté internationale, peuvent-être estimées comme un aveu de l'échec de la politique irakienne des Etats-Unis. Washington est maintenant confronté au dilemme de conserver la réalité du pouvoir en Irak tout en lâchant du lest en direction de l'ONU et, plus singulièrement, des pays qui se sont opposés, dès l'entame de la crise irakienne, au cavalier seul américain et à la propension de la superpuissance mondiale à imposer son hégémonie sur le monde. La communauté internationale, exigeant un rôle plus direct pour l'ONU, tient ferme et maintient la pression sur Washington pour que les Nations unies retrouvent toute leur autorité dans le contentieux irakien. Ce qui contraint Washington à revoir sa copie du projet de résolution tendant au renforcement de la présence internationale en Irak. Dans une déclaration à la presse, le porte-parole du Département d'Etat, Richard Boucher, a indiqué «Nous nous apprêtons à avoir une (nouvelle) version de la résolution cette semaine» expliquant que le nouveau texte viserait à «intégrer les idées et les commentaires formulés par d'autres gouvernements». Il fait allusion à l'exigence de l'élaboration d'un calendrier clair, sinon précis, d'un retour à la souveraineté des Irakiens sur leur pays. Calendrier exigé notamment par la France, la Russie et l'Allemagne qui contestent la manière avec laquelle Washington gère le dossier irakien. En réalité, la concession américaine est assez mince se résumant au temps imparti aux Irakiens pour finaliser leur Constitution. Ainsi, l'idée qu'avait avancée le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, d'accorder aux Irakiens «six mois» pour se doter d'une Constitution avait fait son chemin. Cependant, M.Boucher relativise toutefois cette assertion en affirmant dans sa déclaration, «Nous aimerions que cela puisse se faire en six mois, mais c'est aux Irakiens de décider. C'est aux Irakiens de dire comment ils veulent gérer ce processus et dans quel délai ils souhaitent le faire». En fait, les Etats-Unis cherchent surtout à rassurer la communauté internationale sur la durée de sa présence en Irak, tout en laissant carte blanche à un Conseil de gouvernement qui ne semble guère pressé de conclure, comme l'indique la déclaration de son porte-parole, Entifadh Qanber, qui affirme «Je ne pense pas que six mois soient suffisants. Cela prendra sans doute une année». En d'autres termes le Conseil de gouvernement irakien ne se sent pas prêt d'assumer toutes ses responsabilités envers l'Irak. De fait, le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, complique quelque peu les choses en estimant que les anciens membres du Baâs, le parti de Saddam Hussein, «doivent prendre part au processus politique» selon le Washington Post d'hier qui cite un des assistants de M.Annan, Ghassan Salame, selon lequel «le secrétaire général (...) veut plus de personnes dans le gouvernement» Parlant des anciens membres du Baâs, Kofi Annan aurait déclaré: «Nous avons besoin de les ramener dans le processus politique. Il faut leur dire qu'à un moment dans l'avenir, ils pourront participer comme n'importe qui au processus politique». Ghassan Salame ajoute: «Les Irakiens méritent au moins ce que l'on a donné aux Afghans, à savoir un gouvernement souverain intérimaire». Ainsi, le secrétaire général ne veut pas qu'il y ait une exclusion de l'ancien personnel politique irakien du processus en cours. Ce que Washington refuse absolument par la poursuite, sans relâche, de la chasse à ce même personnel toujours traqué plus de cinq mois après la fin «de la bataille principale» de la guerre en Irak. Voilà qui n'est pas de nature à apaiser des relations à tout le moins conflictuelles entre les Etats-Unis et l'ONU.