Le film César doit mourir des frères Taviani montre l'univers carcéral autrement à travers la préparation d'une pièce de théâtre. A plus de 80 ans, les frères Taviani font preuve d'une incroyable vitalité. Comme par le passé, Paolo et Vittorio se sont mis à deux pour explorer un autre terrain de la cinématographie, le documentaire fiction. Ou plutôt le contraire, la fiction documentaire. Bref, un mélange parfait entre les deux genres. Pour cela, les deux cinéastes italiens se sont inspirés d'une idée simple : filmer des détenus en train de répéter la tragédie de William Shakespeare, Jules César à la prison de haute sécurité de Rebibbia qui est le plus grand pénitencier de Rome, là où sont incarcérés plus de 2300 condamnés pour crimes divers liés notamment à la mafia. César doit mourir, projeté dimanche soir à la salle Ibn Zeydoun à la faveur du Festival international du cinéma d'Alger (FICA) et ses journées du film engagé, laisse parler des acteurs détenus dans un saisissant réalisme. Certains d'entre eux sont condamnés à perpétuité, d'autres à plus de vingt ans de réclusion. N'ont-ils plus rien à perdre ? Oui. Ou presque. La brutalité ne peut pas expliquer l'homme. Il y a autre chose. Jouer dans une pièce à la faveur du «laboratoire du théâtre» de la prison permet aux prisonniers de croire à autre chose, à oublier le temps qui passe et camper d'autres personnages : Brutus (Salvatore Striano), Marc Antoine (Antonio Frasca), Jules César (Giovanni Arcuri), Lucius (Vincenzo Gallo), Casca (Vittorio Parrella), Cassius (Cosimo Rega)… Les personnages en conflit de la pièce du dramaturge anglais. Tous les maux de la terre y sont évoqués dans cette tragédie classique écrite par Shakespeare vers 1600. Il y a d'abord la tyrannie. Celle de l'empereur de Rome. Jules César, moins de 100 ans avant Jésus Christ, avait instauré le pouvoir absolu à Rome, pris par une ambition dévorante et servi par un esprit brillant. Ses légions devaient imposer l'obéissance et la servitude partout dans l'Empire jusqu'aux côtes atlantiques. Tout se réglait par l'épée et les petites intrigues de palais. Ses préteurs, Marcus Brutus et Cassius et son consul, Marc Antoine, devaient conspirer contre lui. Autour de ce complot, William Shakespeare avait construit son œuvre dramatique et les frères Taviani d'en montrer toute la profondeur. La trahison est donc le deuxième «mal» exploré par cette pièce. Tyrannie et Trahison ? Mais, cela existe également en prison. En suivant les détenus, «métamorphosés» en personnages historiques, dans un quotidien qui n'est plus le même, les deux cinéastes dévoilent la fragilité de l'âme humaine. Les hommes sont-ils si faibles ? L'assassinat de Jules César est vu comme un acte de liberté. Comme si les prisonniers se débarrassaient de la force qui les enchaînait à Rebibbia, qui les a privés de leur vie. Fin de spectacle, lumière éteinte. On sort de scène et on revient à sa réalité. «Depuis que j'ai connu l'art, cette cellule est devenue une prison», lance Cassius, celui, qui jadis, s'était soulevé contre «la dictature» de Rome. La prison dans la prison ? Bien mené, enveloppé dans une musique intelligente, composée par Giuliano Taviani et par Carmelo Travia, César doit mourir est une réflexion cinématographique d'une rare beauté. Les détenus comédiens jouent en permanence. Pas uniquement lors des répétitions. D'où l'authenticité de la fiction. La prison n'est pas le meilleur endroit du monde. Personne ne veut y être, sauf à sortir du théâtre de la vie. Mais, les frères Taviani ont réussi à donner des «couleurs», pas forcément de la gaîté, aux murs gris-blanc du pénitencier. L'utilisation partielle du noir et blanc intensifie ce sentiment. Le réalisme y côtoie la poésie. Les frères Taviani, durant leur parcours, ont toujours préféré la poésie à la philosophie dans leur expression artistique. En février 2012, César doit mourir a remporté l'Ours d'Or du meilleur film lors de la 62e édition du Festival international de cinéma de Berlin, la Berlinale. «Ce film continue d'avoir les prix partout. En Italie, il a déjà raflé cinq David qui sont les Oscars italiens. Ensemble, les frères Taviani cumulent plus de 160 ans d'âge ! Ils sont pleins d'énergie», a témoigné le critique de cinéma italien, Mario Serenellini, présent lors de la projection. Selon lui, les prisons italiennes organisent régulièrement des activités culturelles, surtout théâtrales, pour permettre aux détenus de se découvrir de nouveaux intérêts et de reprendre contact avec la vie sociale. «Lorsque les frères Taviani ont visité la prison, invités par le metteur en scène pour assister à la préparation de la pièce César doit mourir, ils se sont dit :‘‘si nous ne faisons pas quelque chose sur cela, pourquoi sommes-nous devenus cinéastes ?''», a ajouté Mario Serenellini qui connaît bien les deux réalisateurs. Les frères Taviani ont notamment réalisé Padre padrone, Sous le signe du scorpion, Kaos, contes siciliens et Le mas des alouettes.