César doit mourir des frères Taviani et Wilaya de Pedro Perez Rosado, sont deux excellents films projetés dimanche dernier à Ibn Zeydoune. Quand la vie devient maussade, terne, voire dure, on y cherche forcément une échappatoire. Et pourquoi pas le théâtre quand celui-ci s'offre à nous? C'est le cas dans César doit mourir, film de frères italiens Paolo et Vittorio Taviani, long métrage qui vient de sortir en France après avoir été auréolé de nombreux prix dont l'Ours d'or du meilleur film à la 62e Berlinale, notamment. Ce film n'est autre que l'adaptation cinématographique librement inspirée de l'oeuvre du dramaturge et écrivain britannique William Shakespeare intitulée Jules César et pas du tout un documentaire comme le signalent certains critiques, bien que les acteurs soient tous de vrais prisonniers. En effet, le génie de ce long métrage réside dans le fait que les réalisateurs mettent en scène de vrais taulards dans une prison de haute sécurité, certains d'entre eux sont ici à perpétuité pour des crimes crapuleux ou de trafic de drogue. Justement, cette pièce s'ouvre sur Brutus qui veut en finir avec sa vie après avoir tué Jules César et ait été acclamé par ses compagnons d'armes ses «hommes d'honneur». La vie se confond ici avec la fiction. Certains barons de la mafia se révèlent des comédiens nés! Des professionnels bien que certains passages douloureux de la pièce, les ramènent parfois à la réalité. Le film s'ouvre ainsi sur cette représentation théâtrale. L'image en couleur bascule juste après en noir et blanc. Quelques semaines plus tôt: c'est le temps des répétitions dans différents endroits improbables de cette prison forteresse. Les prisonniers sont habités par leur personnage et vivent cette histoire à fond, annihilant presque leur véritable identité. Il leur est demandé toutefois de parler chacun dans son propre dialecte pour refléter toute la richesse culturelle de l'Italie et en faire une oeuvre plutôt populaire qui casse avec le carcan du classicisme. Le noir et blanc a cette étrange teinte qui suggère le passé, le rêve, mais le mirage. Tout ceci n'est que factice et factuel. Dure sera la chute. Jusque-là tout se passe bien, mais l'important n'est pas la chute, dit-on mais l'atterrissage. Les détenus vont opérer un parcours impeccable de comédiens. Mais comme l'on sait, l'effet cathartique est un choc émotionnel très fort pour les artistes habitués de la scène. C'est pourquoi l'on comprendra aisément cette solitude béante et abyssale chez ce comédien qui, en regagnant sa cellule, finit par dire «depuis que j'ai découvert l'art, cette cellule m'est devenue une prison». Une phrase tragique, terrible qui traduit la profondeur du gouffre que ces gens ont dû explorer pour s'y voir éjectés et en s'extraire ensuite. Un mal suprême qui a pour nom liberté, ou plutôt sa négation après en avoir goûté pleinement! Autrement, celui de se laisser aller à inventer un autre que soi-même, à se donner sans compter et vivre enfin...Tout ce que ces hommes n'ont pas. Dans un registre similaire, mais déployé sous une autre forme si l'on regarde bien est Wilaya du réalisateur espagnol Pedro Perez Rosado qui a voulu raconter avant tout une histoire d'amour. Celle-ci se passe dans un des camps à Tindouf, la frontière de l'Algérie. Des dizaines de milliers de sahraouis survivent depuis 37 ans. Dans l'un de ces camps, plus particulièrement à Samra, Fatima arrive d'Espagne où elle a été élevée comme ces milliers d'enfants envoyés là-bas pour les protéger de la guerre. Elle retrouve un monde figé, ployé sous la misère, sans grand attachement malgré toutes les sollicitudes de sa soeur Hayat. Son frère, lui, veut absolument qu'elle reste et fonder un foyer. Le sort de toutes les femmes dans ce no man's land. Et pourtant, dans chaque être humain dans ce camp un coeur bat. Dans ce désert hostile, des jeunes gens aiment et aspirent à une vie meilleure. Sans tomber dans le cliché exotique, le réalisateur parvient à brosser un tableau triste, mais sublimé de ce camp sahraoui, presque mythifié sous l'oeil intime et protecteur de sa caméra. Son image soignée est tout en délicatesse et finesse comme le sont les visages de ces femmes qui pourtant contrastent par moment avec la dureté de la vie dans ces camps. Des hommes et des femmes perdues dans le vent de sable, loin du cliché sensationnel des médias. Des êtres fragiles qui parviennent à composer, à dompter et domestiquer cette nature en s'y confrontant tous les jours. Le vent balaie les rêves et le temps semble immobilisé. Seule Fatou parvient à ramener un soupçon de changement et de modernité dans ce camp qui a besoin d'un vrai bond en avant pour sortir de cette torpeur, autrement, d'un engagement véritable pour faire avancer les choses. Wilaya est un film tendre et bouleversant à la fois. La musique, l'âme de ce film transperce les coeurs, comme un déploiement funèbre qui célébrerait la vie. Un paradoxe qui témoigne du vrai sentiment d'impuissance désarment ces gens.Une cause sur laquelle les politiques devraient réellement se pencher et en dialoguer pour le bien de tout un peuple, plongé dans l'oubli comme une souffrance tué dans l'oeuf. Un cri sourd, mais bien présent. Le réalisateur alors du débat, confié qu'il souhaite tourner un second film dans les territoires sahraouis, considèrent ce peuple comme «citoyens du monde qui ont le droit à l'indépendance dans une période où personne, en dehors de l'Algérie, ne parle de paix ni de réconciliation dans cette région», ajoutant ne pas vouloir «faire de film militant, mais plutôt montrer la nature du peuple sahraoui». Mis ce militantisme se lit plus en filigrane, car quand on voit ces images dès la première minute l'ont est d'emblée happés par un malaise d'indignation envers ces gens qui méritent ce dont tout un chacun doit de jouir: une vie stable et non pas précaire noyée quasiment dans le moyen âge. C'est par ces petits détails (absence de toilettes, de salle de bains, de frigo etc) distillés à petites doses sans en faire non plus une surenchère caricaturale qui est soulignée tout le drame que vit cette population. «Epouse-moi et je te donnerai mon frigo», dira cet amoureux transi à Fatimat. Au-delà, des moyens matériels, c'est tout l'état végétatif de ces familles que ce film tente de mettre en exergue. Perdues sans attache, eclatées, oubliées et reniées...Il n' y a pas pire que le déni...Un film essentiel!