Le débat sortait de l'ordinaire, comme il n'y en a peu ou rarement sur des questions aussi sensibles qui engagent l'avenir du pays. «Que peut attendre la communauté économique algérienne d'une prochaine révision de la Constitution et de quel mode de gouvernance a-t-on besoin ?» est la thématique choisie hier par «Défendre l'entreprise», un think tank indépendant initié par le quotidien Liberté pour un déjeuner-débat à l'hôtel Sofitel d'Alger, dont l'invité du jour n'est pas des moindres, l'assistance aussi. Il s'agit du professeur Ahmed Mahiou, agrégé des facultés de droit et ancien doyen de la faculté de droit d'Alger. Il est directeur de recherche émérite au CNRS et ancien directeur de l'Institut de recherches et d'études sur le Monde arabe et musulman (Iremam) à Aix-en-Provence. Ce n'est pas tout : Ahmed Mahiou, auteur de plusieurs publications, est membre de l'Institut de droit international et juge ad hoc à la Cour internationale de La Haye. C'est vrai que le thème du jour a trait à l'entreprise et à la chose économique à la lumière de la prochaine révision constitutionnelle dont on ne connaît pas encore les contours, mais quand on parle de la Constitution on ne peut que déborder sur ses aspects éminemment politiques. C'est ce qu'a fait le professeur Mahiou en dispensant un cours magistral en la matière. Dans un verbe aussi simple que clairvoyant, l'agrégé des facultés de droit a passé en revue toutes les révisions constitutionnelles depuis l'indépendance, en 1962. Si on est mal parti déjà au lendemain de l'indépendance, en adoptant une Constitution dans une salle de cinéma, le Majestic, la révision constitutionnelle de 2008, qui avait permis au président Bouteflika de briguer un troisième mandat, est celle, selon lui, qui a eu «une portée beaucoup plus importante en remettant en cause l'équilibre des pouvoirs». Soulignant le fait qu'il n'y ait pas eu de débats, la nouvelle Loi fondamentale est née d'un processus autoritaire, adoptée par les deux Chambres du Parlement, Ahmed Mahiou explique qu'on n'est même pas devant le modèle du régime présidentiel français ou du parlementaire à l'anglaise, ni dans le modèle américain, mais on est allé beaucoup plus loin dans le présidentialisme, où le chef de l'Etat concentre tous les pouvoirs, y compris celui de dissoudre le Parlement. Selon lui, le Premier ministre, sans prérogatives, n'est en fait qu'un ministre parmi d'autres. Le conférencier qualifie les amendements apportés à la Constitution en 2008 de «bouleversement» en cela qu'ils ont mis fin à la limitation des mandats et au dualisme de l'Exécutif, le Président et le chef du gouvernement. Le rôle de ce dernier, indique-t-il, n'est plus tel qu'on pouvait le concevoir. Il avait dans le temps la prérogative de présenter son programme devant le Parlement, alors que dans la nouvelle Constitution, il n'a à appliquer que celui du président de la République. Tel que cela est configuré dans la Loi fondamentale, le chef de l'Etat aurait même pu se passer des services d'un Premier ministre, précise l'ancien doyen de la faculté de droit d'Alger. «Une pareille situation, selon lui, pourrait déboucher sur des blocages en supposant que la majorité qui arrive au Parlement est en opposition au programme présidentiel.» Mettant l'accent sur les incohérences du système politique algérien, Ahmed Mahiou dit «s'inquiéter pour la démocratie en Algérie». A cet effet, il évoque la création d'une multitude de partis politiques qui fractionnent les opinions, alors qu'on pouvait contrôler et avoir un paysage politique fait de partis sérieux. «Ce qui se fait, c'est l'anti-démocratie», souligne l'invité de think tank de Liberté. A propos de la régionalisation, il indique que «l'Etat s'en méfie toujours, pour des raisons historiques, il a peur du wilayisme et de la cession d'une telle ou telle région du pays». Sur cette question, poursuit-il, le débat n'est même pas entamé.