Malgré une opinion très répandue, les jeunes d'origine immigrée obtiennent à l'école, en France, d'aussi bons résultats que les autres. Mais, pour réussir, ils doivent faire preuve de beaucoup d'ardeur et de courage. Tout joue contre eux, et d'abord, l'état lamentable de l'institution, qui ne cesse, comme le montrent toutes les enquêtes internationales, d'afficher des résultats de plus en plus mauvais. En lecture, elle occupe le 23e rang sur 40 pays, en maîtrise de la langue, elle recule de la 18e place à la 34e, en dix ans, elle perd trois rangs en mathématiques , une classe de 5e, actuellement, a le niveau d'une classe de CM2 en 1987. En 6e, 15% des élèves ne maîtrisent rien, en CM2, une institutrice se lamente que ses élèves se demandent, devant une phrase, «où est le verbe, où est le sujet», trouvent inutile de mettre les accents et considèrent comme «savants» des mots tels salade, épicerie, aurore, évier. Les mêmes lacunes se retrouvent chez les étudiants, y compris chez ceux qui préparent une licence de lettres modernes, font souvent entre 15 et 50 fautes d'orthographe et croient, par exemple, qu'un homicide est «un meurtre à domicile», un xénophobe, «quelqu'un qui a peur quand il est enfermé», un autochtone, «qui aime vivre la nuit»… L'école n'est donc pas un milieu qui facilite et stimule l'acquisition des connaissances, et l'on imagine aisément les efforts que doit accomplir un élève dont le français n'est pas la langue maternelle et qui, en classe, n'est guère encouragé par ses condisciples à parler et écrire correctement. A ce premier obstacle s'en ajoute un deuxième : la conviction, chez bien des responsables, y compris des pédagogues réputés, que les jeunes d'origine étrangère n'ont pas besoin d'un savoir de qualité : «Les enfants des milieux défavorisés, déclare un chercheur, doivent apprendre à lire dans les modes d'emploi d'appareils électroménagers et non dans les textes littéraires.» Le même estime que «l'éducation ne doit pas chercher à arracher les convictions des élèves, comme on arracherait les mauvaises herbes de la superstition ou de l'erreur, pour laisser pousser la raison et émerger la vérité». Des inspecteurs pédagogiques régionaux jugent, de la même façon, qu' «il faut tenir compte des tolérances orthographiques, et parfois accepter deux graphies pour l'écriture d'un mot», un autre, que «la qualité de l'expression ou de la production écrite n'entre pas dans l'évaluation de la copie», un troisième, que «tous les modes d'expression sont recevables». Peu préparés par leurs familles à s'intégrer aisément dans le milieu scolaire, souvent considérés comme incapables de réussir et incités, par la même, à ne rien faire, les enfants d'origine immigrée réussissent pourtant aussi bien, et parfois mieux, que leurs camarades d'origine française. Certes, les chiffres qu'on cite habituellement disent le contraire : 61% d'entre eux réussissent au bac, 68%, les élèves d'origine française. Mais 70% des premiers proviennent de familles ouvrières, contre 40% des seconds. Le chiffre qu'on cite d'habitude est donc menteur, et lorsqu'on compare les résultats en tenant compte de l'appartenance sociale, on s'aperçoit qu'à catégories sociologiques identiques, les résultats, chez les uns et les autres, sont identiques. «Qu'ils soient bretons, basques ou algériens, leur sort sera similaire si leurs parents sont ouvriers, constate une enquête de l'Observatoire des inégalités. Les enfants d'immigrés auraient même tendance à mieux travailler… Les Maghrébins font souvent mieux que les Français de souche, toutes les filles misent sur l'école et décrochent plus souvent le bac.» S'il y a une différence entre les enfants d'immigrés et les autres, elle se situe, essentiellement, dans le niveau d'aspiration. Et cela, pour deux raisons : discriminés, ils sont incités, par réaction, à démontrer leurs capacités et à briller. Et ils y sont encouragés par leurs familles, qui voient à juste titre dans de bons résultats scolaires le principal moyen, pour leurs enfants, de s'intégrer pleinement à la société. De fait, ceux qui franchissent les barrages et réussissent à entrer dans une grande école accèdent à des postes de cadres. C'est le cas d'un certain nombre de jeunes de la troisième génération d'immigrés, qui ne vivent plus, comme le constate un observateur, entre le monde de leurs parents et celui de l'école, sont bien ancrés dans la société d'accueil, investissent de nouveaux secteurs de la vie économique et constituent l'embryon d'une nouvelle classe moyenne. Ce sont eux, et leurs enfants, qui donnent encore un sens à l'école, l'empêchent de dégénérer davantage et la sauveront peut-être du naufrage.
- Cf. Le Monde du 8 décembre 2010, du 2 décembre 2009. - Cf. Le Nouvel Observateur, 6-12 septembre 2007